Traitements modernes de la douleur

La douleur, lorsqu’elle devient chronique, affecte profondément et durablement toutes les facettes de la vie. Des solutions efficaces permettent pourtant de rétablir une bonne qualité de vie et de voir l’avenir avec sérénité. Entretien auprès du Prof. Dr. Sam Eldabe, futur Chef du service d’antalgie à l’hôpital de Morges. 

Par Adeline Beijns

Professeur Sam Eldabe, vous prenez vos fonctions au sein du centre d’antalgie de l’hôpital de Morges. Dites-nous en plus ?

Actuellement, je suis Médecin Chef du service d’antalgie à l’Hôpital Universitaire James Cook de Middlesbrough, une ville au nord- est de l’Angleterre. En 1997, j’y ai créé le service de neuromodulation ainsi qu’un département de recherche. Je suis également le Président du comité d’examen de l’European Diploma of Pain Medicine (EDPM), de l’European Society of Regional Anesthesia (ESRA). J’espère entrer en fonction en qualité de Chef du Service d’antalgie à l’EHC (Ensemble Hospitalier de la Côte) à partir de l’été 2021.

Qu’est-ce qu’une douleur chronique et quel est l’impact sur la qualité de vie des patients ?

La douleur chronique se manifeste communément par une lésion des tissus. Cette lésion peut être grave (une fracture) ou banale (par exemple une bosse ou, dans de rares cas, sans aucune blessure). L’évolution normale d’une lésion se traduit par le développement d’ecchymoses et d’œdèmes. S’ensuit une guérison progressive, accompagnée d’une disparition graduelle de la douleur.

Or, chez certains patients, la douleur aigüe va modifier le fonctionnement du système nerveux. Celui-ci, doté de circuits complexes, va continuer à émettre des signaux de douleur anormaux et persistants. Ce phénomène nous explique pourquoi, chez les patients souffrant de douleurs chroniques, la sensation de douleur se poursuit encore après la guérison. Parfois, même des tissus qui ne sont apparemment pas endommagés peuvent provoquer des douleurs.

Commençons par nous poser la question : qu’est-ce que la douleur ? La douleur est un réflexe de protection immédiat. En d’autres termes, c’est elle qui nous empêche de nous brûler la main, par exemple au contact du feu. Nous pouvons en déduire le constat suivant. Nous, les humains, ne sommes absolument pas conçus pour vivre dans la douleur chronique. Par conséquent, la douleur entraîne de nombreux effets néfastes sur les personnes qui en souffrent. Le principal est la mauvaise qualité du sommeil, qui va provoquer une fatigue tout au long de la journée, une dégradation de l’humeur et un état général d’anxiété. La combinaison de ces facteurs détériore considérablement la santé et la qualité de vie du patient.

Il y a quelques années, nous avons mené une étude conjointement avec l’hôpital de Morges. Cette étude a montré que la qualité de vie des patients dont les douleurs (dorsales et dans les jambes) persistent après une opération de la colonne vertébrale, est comparable à celle des patients insuffisants rénaux dialysés au long cours. Cette étude nous donne une idée claire et concrète de la gravité de la souffrance de ces patients.

Les effets secondaires des médicaments antidouleur oraux sont également à prendre en compte. Ceux-ci engendrent somnolence, fatigue, sécheresse de la bouche et perte de la concentration, qui nuisent à la vie professionnelle. Malheureusement dans certains cas, la douleur chronique peut entraîner une perte d’emploi, qui à son tour, mène vers un isolement social et des problèmes financiers. Ces situations provoquent une détérioration de l’humeur et de l’anxiété voire plus tard, une aggravation de la douleur. La personne se retrouve alors dans ce qu’on appelle le cercle vicieux de la douleur et de la dépression.

Quels sont les différents profils de patients, souffrant de douleurs chroniques, qui viennent consulter à Morges ?

J’ai travaillé à Morges à plusieurs reprises dans le cadre de consultations et d’interventions avec le Professeur Buchser et son équipe. J’ai constaté diverses causes aux douleurs chroniques. Les plus fréquentes étaient les douleurs dorsales et les douleurs aux jambes. S’ensuivent d’autres types de douleurs comme la fibromyalgie, les douleurs cancéreuses, les neuropathies dues à diverses lésions. Les céphalées ainsi que les douleurs arthritiques sont également très fréquentes.

Quelles sont les solutions qui existent aujourd’hui pour assurer une prise en charge de la douleur ?

Il existe de nombreuses façons de traiter la douleur chronique. La plus efficace consiste à associer une prise en charge de la douleur physique (au moyen de médicaments, d’injections, de physiothérapie voire de la pose d’implants) à une approche qui permet de remédier aux conséquences de la douleur. Les conséquences (lorsqu’elles existent) sont la dépression, les troubles du sommeil et l’anxiété.

Quelles sont les autres options pour pallier les limites des médicaments et leurs avantages respectifs ?

Une des options pour le traitement de la douleur chronique est la neuromodulation. La neuromodulation regroupe différentes techniques, qui ont pour but de modifier le fonctionnement du système nerveux. Cette modification peut se faire soit par l’administration de médicaments au moyen de pompes internes ou externes (administration intrathécale de médicaments), soit à l’aide de dispositifs de stimulation de la moelle épinière ou des nerfs (neurostimulation).

Au centre d’antalgie de l’EHC, nous utilisons les deux: neurostimulation et administration intrathécale de médicaments. La neuromodulation permet d’atténuer les souffrances et d’améliorer la qualité de vie des patients atteints de douleurs persistantes, de spasticité, de troubles du mouvement, d’épilepsie, d’angine de poitrine, de dysfonctionnements intestinaux et vésicaux ainsi que de lésions dorsales.

La stimulation de la moelle épinière est le traitement le plus couramment utilisé à Morges. Ce traitement est administré lors de douleurs nerveuses sévères et persistantes, survenant après une chirurgie spinale techniquement réussie, ou chez les victimes de lésions nerveuses accidentelles ou chirurgicales. La stimulation de la moelle épinière consiste à implanter une électrode (fil électrique) à travers une aiguille dans l’espace épidural de la colonne vertébrale; celle-ci est ensuite reliée à une pile placée sous la peau. Ce sont les impulsions électriques (transmises aux nerfs par cette électrode) qui vont soulager la douleur. Contrairement à la plupart des médicaments antidouleur oraux, la neurostimulation n’a donc pas d’effets secondaires, puisque c’est un traitement électrique. De plus, le traitement de la stimulation de la moelle épinière est réversible, c’est-à-dire que l’implant peut être retiré à tout moment. C’est donc une option intéressante, aussi bien pour le patient que pour le médecin.

D’autres causes de la douleur existent. Nous pouvons citer les douleurs non neuropathiques, les douleurs nerveuses associées à des douleurs musculaires ou articulaires comme celles que l’on observe souvent dans les cancers. Dans ces cas-là, l’administration intrathécale de médicaments apporte une solution pertinente, car elle présente moins d’effets secondaires et améliore grandement la qualité de vie de ces patients. Sachant que la douleur trouve son origine dans la colonne vertébrale, c’est à cet endroit précis que sont administrés les médicaments. Pourquoi ? Car en administrant le traitement à la racine, nous pouvons combattre la douleur avec des quantités médicamenteuses beaucoup plus faibles (environ 1/100 de la dose orale). Le patient peut ainsi profiter de la vie avec beaucoup moins d’effets indésirables (somnolence et fatigue) fréquents avec les analgésiques oraux.

Comment ces deux thérapies améliorent-elles la qualité de vie des patients ?

Ces deux thérapies assurent un meilleur soulagement de la douleur. Nous possédons des chiffres intéressants à ce propos. Un grand pourcentage de malades traités par neuromodulation, rapporte ainsi une amélioration de plus de 50 % de la douleur. La majorité des patients sous traitement médicamenteux déclare un soulagement de moins de 30%. Plus important encore, les thérapies de neuromodulation ont un profil d’effets secondaires beaucoup plus faible que les médicaments antidouleur oraux. En diminuant les manifestations indésirables, ces traitements permettent une amélioration de la qualité de vie et des interactions avec les proches et les amis.

Vers quel médecin doit-on se tourner ?

Pour toute question, adressez-vous d’abord à votre médecin de famille. Par la suite, si vous souhaitez plus d’informations, demandez-lui de vous orienter vers le centre de traitement de la douleur.


Victime de douleurs ? Des solutions près de chez vous existent :

https://www.ehc-vd.ch/prestation/antalgie-traitement-de-la-douleur

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