Les vertus du rêve thérapeutique

Certaines personnes mettent à profit leur espace onirique pour se soigner. Focus sur une nouvelle façon d’appréhender ses nuits.

Par Emmanuel Viaccoz

C’est pas possible ! Pince-moi !

Face à l’improbabilité d’une situation de la vie de tous les jours, un réflexe vieux comme le monde vous invite à dire : « mais je rêve ! C’est pas possible ! Pince-moi ! ». Imaginez un instant que cet implacable test de réalité vous indique, avec certitude, que vous êtes effectivement en train de rêver, au sens clinique du terme. Pourtant, vous ressentez l’étrange impression d’être complètement réveillé-e, au beau milieu d’un environnement en ultra-haute définition.

Hungry Hanna Barbera GIF by Warner Archive

Ne cherchez pas plus loin, vous venez de découvrir une autre réalité, celle du Lapin blanc, de l’agent Smith et de Mallorie Cobb. Tout comme Alice, Néo et Dom, vous expérimentez ce que l’on nomme « un rêve lucide » ; une réalité virtuelle hors du temps et de l’espace où tout devient possible, y compris les soins, voire la guérison

Des preuves à l’appui

Scientifiquement démontré par le psychophysiologiste Stephen Laberge en 1981, cette mystérieuse façon de rêver déconcerte les plus prestigieux centres de recherche, comme le célèbre institut Max-Plank en Allemagne. Comment est-il possible d’être réveillé à l’intérieur d’un rêve, et plus encore, quel est ce phénomène qui fait qu’une personne s’endorme malade et se réveille le lendemain en voie de guérison ? 

Les technologies comme l’EEG, l’IRM-F ou la tomographie nous permettent aujourd’hui d’y voir un plus clair et de comprendre, lorsque l’événement se produit, quelles parties du cerveau s’activent dans rêve alors qu’elles devraient normalement rester en stand-by tout au long de la nuit.

Des scénarios à la Paul Verhoeven

Plongés au cœur même de leur inconscient, les rêveuses et les rêveurs lucides ont la faculté, non seulement de contrôler leur rêve, mais aussi, dans une certaine mesure, d’intervenir sur leur système nerveux central et leur mémoire en y implantant des informations bénéfiques pour la santé. Le traitement des cauchemars liés à un stress post-traumatique a été la première cible du rêve lucide, tout comme les phobies, l’anxiété, les TOC ou encore, l’épouvantable paralysie du sommeil dont personne ne sort indemne. La psychiatre lilloise Laura Gussetti en a d’ailleurs fait sa thèse de doctorat. La démarche consiste à enseigner au patient comment « s’éveiller » à l’intérieur de son rêve et ainsi, pouvoir agir de manière consciente et volontaire sur un trouble ou une pathologie.

D’un point de vue neurophysiologique, nous sommes au cœur de la plasticité cérébrale, avec pour corollaire, une possible reconfiguration des connexions synaptiques. C’est un peu comme si, à l’intérieur de votre rêve, vous réorganisiez l’information mémorielle à votre avantage. Le rêve lucide permettrait aussi de traiter, par des mises en situation oniriques volontaires, certaines addictions ou autres inclinations potentiellement dommageables.  Le contenu « problématique » étant par la suite repris, analysé et traité avec un-e professionnel-le de la santé.

Des molécules virtuelles

Le spectre d’exploration clinique et empirique concerne par ailleurs l’approche pharmacologique. En d’autres termes : « que se passerait-il si, à l’intérieur de votre rêve, vous preniez un comprimé de benzodiazépine ou un antidouleur ? ».

Fresh Off The Boat Reaction GIF

À ce jour, la recherche scientifique n’a pas encore suffisamment de recul pour répondre à cette question, mais l’expérience subjective de certaines personnes ouvre des perspectives encourageantes. Il semblerait, en effet, que la molécule onirique virtuelle, tout comme son pendant physique, agisse sur le taux de sérotonine pour l’anxiété et sur celui de l’endorphine pour la douleur. Il en va de même pour stimuler la production d’ocytocine ou encore, de dopamine, avec des effets notables sur le niveau de joie, sur le système immunitaire et sur les processus de reconstruction tissulaires. S’agit-il ici d’une forme de placebo intra-onirique ?

Jusqu’aux confins de notre monde intérieur

Les autres applications du rêve lucide concernent l’aspect ludique ; un des terrains de jeu privilégiés des expérienceuses et expérienceurs. Qui n’a jamais rêvé de voler comme un oiseau, d’assouvir ses fantasmes, de visiter les fonds marins sans oxygène, de traverser la galaxie ou encore, de passer à travers la matière ?

Enfin, cette pratique du rêve conscient offrirait aussi, tout comme la médecine psychédélique, la possibilité d’expérimenter des réalités transpersonnelles, des mondes archétypaux et spirituels, avec pour conséquence un changement profond dans notre manière d’appréhender l’existence et sa finitude. 

Quand la modernité rejoint la tradition

Apprendre le rêve lucide est à la portée de tous, mais comme toute discipline, un minimum d’investissement s’avère nécessaire pour parvenir à un résultat tangible. Si les chercheurs de l’institut Max-Plank ont réussi à provoquer des rêves lucides par une stimulation électromagnétique de la zone fronto-temporale, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour induire l’état de rêve conscient à volonté. Certaines personnes privilégient une approche plus traditionnelle, comme la pratique du Yoga Nidra, ou d’autres formes de méditations axées sur l’endormissement conscient. Quel que soit le chemin emprunté, le rêve lucide figure parmi les expériences les plus fascinantes, et les actions qu’on y dépose semblent favoriser le bien-être intérieur et la préservation de notre santé. 

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