Vivre et combattre le SIDA

“Savez-vous respirer?” ce sont de ces mots, répétés en boucle, que Lillian se souvient le plus, la nuit où elle a été sauvée par des médecins allemands. Lillian, 49 ans, est séropositive et atteinte du SIDA depuis 23 ans. Elle nous livre son témoignage.

Par Adeline Beijns

Une famille africaine

Assises confortablement dans une brasserie à Düsseldorf, Lillian et moi savons pourtant que l’heure que nous allons passer ensemble, sera chargée émotionnellement. Pour elle, qui doit se remémorer des moments difficiles pour informer et alerter ceux qui ne pensent que « cela n’arrive qu’aux autres ». Pour moi, la journaliste, car c’est la première fois que je rencontre une personne atteinte du sida.

Même si je suis de la génération qui a grandi avec les films « Les nuits fauves » de Cyril Collard, sorti en 1992, et « Philadelphia » avec Tom Hanks et Denzel Washington, je suis envahie par des sentiments d’injustice, de compassion et de gratitude face au témoignage qui me sera livré.

Lillian entame le récit de sa vie. Elle naît au sein d’une grande famille en Ouganda : elle est la sixième enfant d’une famille de 18 enfants dont 5 mamans différentes prennent soin. L’Ouganda se trouve au milieu de l’Afrique et bénéficie d’un climat tropical de rêve. La température moyenne annuelle y est de 20 degrés. Mais : « en Allemagne, j’aime le changement de saison et le temps qui peut varier d’un moment à l’autre », sourit la femme dont les cheveux sont couverts par un turban aux mille couleurs.

Le mariage

Elle me confesse que son enfance a été très heureuse jusqu’à l’âge de 6 ans. Une fois cet âge fatidique atteint, « ma vie est devenue un combat de tous les jours ». Celle qui est aujourd’hui mariée, pour une seconde fois, et a une fille, ne m’en dira pas plus. Elle me confiera uniquement qu’elle a obtenu un diplôme en management et qu’elle s’est mariée à 26 ans à Kampala, la capitale de l’Ouganda.

A partir de ce moment, « tout s’est effondré, j’avais le SIDA ! ». Sans oser demander plus de précisions, je comprends que son mari l’a probablement contaminée.

De ce mariage, naîtra un fils qui mourra hélas à l’âge de 6 mois. Sa grossesse a été très difficile et la même mise en danger puisqu’elle perd 40 kg !

Son deuxième pays

Malgré une santé défaillante, elle trouve un travail à Kampala, dans une société qui importe des produits chimiques, destinés à l’agriculture, d’Allemagne et d’autres pays européens. C’est son premier contact avec le Vieux Continent, qui changera sa vie, en bien, à tout jamais.

À seulement 29 ans, elle était mourante : « mon corps était tellement faible et immunosupprimé que je contractais toutes les maladies possibles » décrit celle que l’on appelle désormais affectueusement « mama africa » sur son lieu de travail. En effet, la tuberculose et le sida la rongent progressivement.  Sous aspirateur artificiel, ses chances de survie étaient au plus bas.

Les parents et amis de Lillian se rendent compte que la seule possibilité d’obtenir un traitement médical qui puisse la sauver est de rejoindre l’Europe. Tous ensemble, ils remuent ciel et terre et parviennent à rassembler l’argent nécessaire pour lui acheter un billet d’avion pour l’Allemagne.

Une fois arrivée, elle demande l’asile et se retrouve dans un camp pour migrants. Mais dès la première nuit, elle s’effondre et est embarquée dans une ambulance. Sur le chemin qui l’amène aux urgences, on lui répète encore et encore: “savez-vous respirer?”.

Une seconde vie

Après des mois d’hospitalisation à Leipzig et à Francfort, Lillian est arrivée à Sarrebruck, la capitale fédérale du Land allemand de la Sarre en 2003 où elle habite encore aujourd’hui. « Je ne parlais pas un mot d’allemand et je n’avais pas de toit. Je suis tellement reconnaissante de tout ce que l’Allemagne m’a apporté. Ce pays m’a sauvée. Si j’étais restée en Afrique, je serais morte depuis bien longtemps » poursuit la miraculée. Il est vrai que le système européen de soins prévoyant des traitements de pointe lui ont permis de reprendre, progressivement, une vie presque normale.

C’est l’association Haus Afrika, qui a son siège à Sarrebruck, qui a aidé la jeune femme qui est alors âgée de 33 ans. « Les débuts ont été extrêmement difficiles. Je ne savais pas vraiment m’exprimer et la seule chose que je savais faire, c’était du café », raconte cette femme au sourire communicatif.

Après seulement quelques mois à Haus Afrika, Lillian a obtenu son propre appartement et a appris l’allemand. Elle a ensuite suivi un apprentissage en tant qu’employée de bureau, s’est mariée une deuxième fois et a donné naissance à sa fille, sa « fierté », qui a obtenu son diplôme d’études secondaires il y a deux ans.

« J’ai entendu tellement de fois dans ma vie que les choses n’étaient pas possibles ou inatteignables mais moi, j’ai toujours écouté mon cœur. J’ai été au bout des choses, j’ai travaillé dur et j’ai réalisé tout ce que je voulais » dit Lillian.

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source : Giphy

Depuis que sa santé le lui permet, la femme de 49 ans est déjà retournée rendre visite à sa famille en Ouganda plusieurs fois. « Croyez-le ou non mais je suis presque devenue une étrangère là-bas car je suis soi-disant devenue trop européenne ! ». Et en Allemagne, comment se sent-elle ? « Eh bien ici aussi, je suis une étrangère et cela ne changera probablement jamais. Lorsqu’on vient d’un autre continent et qu’on a la peau noire, il y a beaucoup de préjugés et les compétences sont remises en question », confie celle qui ne s’en plaint pas pour autant. La vie est trop précieuse pour ça.

Aider les autres

Parce que la communauté l’a aidée, Lillian a décidé de consacrer sa vie aux autres en travaillant pour l’association qui lui permis de refaire sa vie. Chaque jour, elle aide de nombreux enfants migrants, du monde entier, à trouver leur chemin en Allemagne. Elle les aide à accomplir les tâches quotidiennes, à apprendre la langue et à s’intégrer. Cela fait 16 ans qu’elle travaille pour cette association et elle a déjà aidé des milliers de jeunes. « L’Allemagne m’a beaucoup aidée pendant la pire période de ma vie, et je veux donner quelque chose en retour », confie-t-elle.

Aujourd’hui, Lillian se réjouit des petites choses que la vie offre chaque jour. Comme aller faire des courses avec des amies. « Mais faire du shopping en Allemagne est vraiment différent de celui qu’on peut faire en Ouganda. Là-bas, sur les marchés, il y a de la musique, des salons de coiffure, des stands de cuisine et de vente de nourriture. Et il y a surtout plein d’enfants qui jouent et crient partout. Un véritable chaos joyeux ! » me décrit Lillian en rêvant de son pays d’origine.

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