Nutrition et cancer : un duo à ne pas sous-estimer

A l’heure où le cancer reste une menace majeure pour la santé publique, l’importance d’une nutrition adéquate est souvent sous-estimée. Selon le Dr. Jean-Pierre Spinosa, spécialiste en sénologie et oncologie gynécologique à la Clinique de Montchoisi, qui se passionne pour le médecine nutritionnelle, la nutrition joue un rôle fondamental dans la prévention, le traitement et la prévention des récidives du cancer.

Par Adeline Beijns

Personnalisation de l’alimentation

Il est souvent recommandé d’adopter une alimentation saine et équilibrée, sans tenir compte de l’individualité de chaque personne et de la spécificité de chaque tumeur. Cela souligne l’importance d’une nutrition personnalisée, également appelée « nutrition de précision », qui constituera un domaine de recherche passionnant pour la prochaine décennie. En effet, notre alimentation est riche en composés bioactifs anticancéreux, tels que les polyphénols, les glucosinolates, les caroténoïdes, et les fibres alimentaires, qui influencent divers aspects du métabolisme cellulaire, modulent notre microbiote, renforcent nos défenses immunitaires et améliorent notre capacité à réparer l’ADN.

Des concepts tels que le « French Paradox » — une observation de la faible incidence des maladies cardiovasculaires — et le régime méditerranéen, reconnu pour ses bienfaits sur la santé cardiovasculaire et la prévention du cancer, illustrent l’influence majeure de l’alimentation sur notre santé. Des recherches sont en cours pour comprendre les mécanismes sous-jacents à ces phénomènes, et il est possible que le microbiote intestinal, modulé par notre alimentation, joue un rôle clé.

Par exemple, une étude menée par Toledo a révélé que les femmes qui suivaient un régime méditerranéen enrichi en huile d’olive extra vierge présentaient un risque réduit de 62% de développer un cancer du sein invasif par rapport à celles suivant un régime pauvre en graisses. Cette étude est particulièrement significative car elle repose sur un essai clinique randomisé, offrant ainsi des preuves solides de l’impact de l’alimentation sur la prévention du cancer.

Récupéré sur : giphy.com

Un pilier essentiel de la santé

Selon le Dr. Spinosa, s’il y a un message à retenir, c’est que la santé ne se résume pas à l’absence de maladie ; c’est un processus actif qui nécessite une attention constante, notamment en matière de nutrition. Le Dr. Jean-Pierre Spinosa souligne que la nutrition est un pilier essentiel souvent négligé. « Il ne faut pas croire que l’on peut ingérer tout et n’importe quoi et que notre organisme va trier ce dont il a besoin du reste qu’il va éliminer. Tout ce qu’on ingère a une importance, que ce soit en trop ou en pas assez. » La nutrition est définie comme l’ensemble des actions et processus par lesquels un être vivant récupère et transforme des substances pour assurer son fonctionnement. Cette notion est cruciale dans le cadre du cancer, où la nutrition peut influencer le métabolisme des cellules cancéreuses de plusieurs façons.

Les bases de la nutrition et du métabolisme cellulaire

La disponibilité des nutriments, la régulation hormonale, l’expression des gènes et l’activité des enzymes sont des aspects essentiels du métabolisme cellulaire influencés par la nutrition. Par exemple, l’insuline, sécrétée après un repas, joue entre autres un rôle crucial dans la régulation du métabolisme du glucose et de la croissance cellulaire. Des carences ou excès de certains nutriments peuvent perturber ce métabolisme.

Nutrition et cancer : une relation très complexe

Les tumeurs ont souvent un métabolisme altéré, connu sous l’effet Warburg, où elles utilisent la glycolyse aérobie et la glutamine pour produire de l’énergie. Le Professeur Thomas Seyfried et le Dr. Spinosa étudient comment la disponibilité en glucose et autres nutriments influence la croissance tumorale. Les régimes cétogènes* restrictifs privent les cellules cancéreuses de glucose, favorisent les corps cétoniques et montrent des effets anti-invasifs, pro-apoptotiques, et anti-inflammatoires.

Plusieurs études sont disponibles sur le site clinicaltrials.gov, explorent ces mécanismes. Cependant, une approche efficace pour une tumeur peut ne pas l’être pour une autre, et ne remplace d’aucune façon les traitements classiques. Les nutriments influencent directement la croissance cellulaire et la réponse aux traitements, comme le montrent les effets des oméga-3 et du microbiote intestinal sur le cancer. En somme, notre alimentation peut soit freiner, soit favoriser le développement du cancer.

Récupéré sur : giphy.com

Traitement, prévention et suivi après cancer

L’intégration de la nutrition dans le traitement du cancer est désormais largement reconnue comme cruciale. Les directives de l’ESPEN soulignent l’importance d’une évaluation nutritionnelle systématique et d’une intervention précoce pour améliorer l’efficacité des traitements, réduire les effets secondaires et optimiser les résultats des patientes, notamment dans la prise en charge du cancer du sein. Une étude de Cheblowski confirme qu’une alimentation adaptée, riche en fruits et légumes, peut non seulement réduire l’inflammation et fournir des antioxydants, mais aussi créer un environnement moins favorable à la croissance tumorale, améliorant ainsi la qualité de vie des patients.

Notre avenir : la nutrigénomique

Le futur de la nutrition en oncologie est prometteur. La nutrigénomique, qui étudie l’interaction entre la génétique et l’alimentation, ouvre de nouvelles voies pour des plans nutritionnels personnalisés. Mais attention, il ne s’agit pas seulement d’alimentation mais de la façon dont notre corps réagit à cette alimentation. L’oncologie intégrative associe les traitements conventionnels à des thérapies complémentaires, incluant la nutrition, pour traiter la personne dans son ensemble.

Que retenir ?

La nutrition devient de plus en plus une partie indissociable des traitements intégratifs du cancer, de la prévention et du suivi après cancer, contribuant à de meilleurs résultats et à une meilleure qualité de vie pour les patients. Bien qu’elle ne soit pas la seule préoccupation de l’avenir de la médecine, elle constitue un élément essentiel d’une approche globale et pluridisciplinaire des soins du cancer. Au fur et à mesure que la recherche évolue, le rôle de la nutrition en oncologie est susceptible de s’étendre, ce qui en fera un élément essentiel des pratiques médicales futures.

* Un régime cétogène est un régime alimentaire riche en protéines, qui consiste à réduire drastiquement les glucides de son alimentation

Références :

1. Zitvogel, L., Daillère, R., Roberti, M. P., Routy, B., & Kroemer, G. (2017). Anticancer effects of the microbiome and its products. Nature Reviews Microbiology, 15(8), 465-478. 
2. Vétizou, M., Pitt, J. M., Daillère, R., Lepage, P., Waldschmitt, N., Flament, C., Rusakiewicz, S., Routy, B., Roberti, M. P., Duong, C. P. M., Poirier-Colame, V., Roux, A., Becharef, S., Forveille, S., Latanicki, A., Apetoh, L., Carbonnel, F., Chachaty, E., Moreau, F., … Zitvogel, L. (2015). Anticancer immunotherapy by CTLA-4 blockade relies on the gut microbiota. Science, 350(6264), 1079-1084. 
3. Canani, R. B., Costanzo, M. D., Leone, L., Pedata, M., Meli, R., & Calignano, A. (2011). Potential beneficial effects of butyrate in intestinal and extraintestinal diseases. World Journal of Gastroenterology: WJG, 17(12), 1519. 
4. Gopalakrishnan, V., Spencer, C. N., Nezi, L., Reuben, A., Andrews, M. C., Yizhak, K., … & Wargo, J. A. (2018). Gut microbiome modulates response to anti–PD-1 immunotherapy in melanoma patients. Science, 359(6371), 97-103. 
5. Schwabe, R. F., & Jobin, C. (2013). The microbiome and cancer. Nature Reviews Cancer, 13(11), 800-812.
6. Garrett, W. S. (2015). Cancer and the microbiota. Science, 348(6230), 80-86
7. Seyfried TN, Mukherjee P, Iyikesici MS, Slocum A, Kalamian M, Spinosa JP, Chinopoulos C. Consideration of Ketogenic Metabolic Therapy as a Complementary or Alternative Approach for Managing Breast Cancer. Front Nutr. 2020 Mar 11;7:21
8. Giovannucci, E., Rimm, E. B., Liu, Y., Stampfer, M. J., Krithivas, K., & Willett, W. C. (2002). A prospective study of tomato products, lycopene, and prostate cancer risk. Journal of the National Cancer Institute, 94(5), 391-398. 
9. Aggarwal, B. B., Sundaram, C., Malani, N., & Ichikawa, H. (2007). Curcumin: the Indian solid gold. Advances in Experimental Medicine and Biology, 595, 1-75. 
10. Kunnumakkara, A. B., Anand, P., & Aggarwal, B. B. (2008). Curcumin inhibits prolife- ration, invasion, angiogenesis and metastasis of different cancers through interaction with multiple cell signaling proteins. Cancer Letters, 269(2), 199-225. 
11. Tomeh, M. A., Hadianamrei, R., & Zhao, X. (2019). A review of curcumin and its derivatives as anticancer agents. International Journal of Molecular Sciences, 20(5), 1033. 
12. Arends, J., Bachmann, P., Baracos, V., Barthelemy, N., Bertz, H., Bozzetti, F., … & Zuercher, G. (2017). ESPEN guidelines on nutrition in cancer patients. Clinical Nutrition, 36(1), 11-48.
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14. Toledo, E., Salas-Salvadó, J., Donat-Vargas, C., Buil-Cosiales, P., Estruch, R., Ros, E., … Martínez-González, M. A. (2015). Mediterranean Diet and Invasive Breast Cancer Risk Among Women at High Cardiovascular Risk in the PREDIMED Trial. JAMA Internal Medicine, 175(11), 1752.


Rendez-vous à la Clinique de Montchoisi:

  • jeudi 14 novembre 2024 à 18h00 pour
  • une conférence publique sur ce sujet.
  • Inscriptions prochainement ouvertes sur www.montchoisi.ch
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