
L’alopécie, cette maladie caractérisée par une perte de cheveux partielle ou totale, touche de nombreuses personnes à travers le monde. Au-delà de ses aspects physiques, elle peut avoir un impact psychologique profond. Pour mieux comprendre cette condition et ses implications, nous avons interviewé Laure Theytaz, psychologue FSP et elle-même atteinte d’alopécie. Dans cet entretien, elle nous partage son parcours, ses défis, et ses outils pour aider ses patients à surmonter les obstacles liés à cette maladie.
Par Adeline Beijns
Pourriez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?
Bien sûr. J’ai 45 ans, je suis mariée à un homme formidable qui m’a toujours soutenue et encouragée. Je suis également maman de deux enfants qui sont déjà grands maintenant. Je suis psychologue de profession et une partie de ma consultation est consacrée à l’accompagnement des personnes atteintes d’alopécie. Je suis également moi-même diagnostiquée avec cette pathologie depuis l’âge de 18 ans, ce qui m’a motivée à aider d’autres personnes confrontées aux mêmes défis.
Pourriez-vous partager avec nous l’histoire de votre diagnostic ?
À l’âge de 18 ans, j’ai commencé à remarquer que j’avais de moins en moins de cheveux sur le dessus de la tête, mon crâne devenant de plus en plus clairsemé. Inquiète, je suis allée consulter un médecin qui m’a fait faire différentes analyses. Ces analyses n’ont rien révélé d’anormal. On m’a alors diagnostiqué une alopécie androgénétique, « probablement liée au stress ».

Ce diagnostic m’a fait beaucoup culpabiliser, car on m’a laissé entendre que c’était en quelque sorte « de ma faute ». Cette culpabilité n’a pas facilité la recherche de solutions. Bien que l’alopécie ait été qualifiée d’androgénétique, personne dans ma famille n’était directement concerné par cette maladie, ce qui a ajouté à ma confusion et à mon désarroi.
Comment l’alopécie a-t-elle impacté votre vie quotidienne et quelles stratégies avez-vous mises en place pour y faire face ?
L’alopécie a eu un impact très important sur ma vie quotidienne. J’ai développé de nombreux comportements d’évitement, comme ne plus m’exposer au soleil car il brûlait mon crâne, éviter le vent car il décoiffait le peu de cheveux que j’avais, et m’abstenir de la chaleur car cela semblait aggraver la perte de mes cheveux. Cette situation a conduit à un syndrome dépressif réactionnel ainsi qu’au développement de TOCs avec des compulsions de vérification et de comptage des cheveux perdus. Mon estime de moi a été très touchée, voire blessée.
Dans les pires moments, je pleurais même devant les publicités pour les shampooings où les femmes ont de beaux cheveux volumineux, et je me coupais les cheveux de plus en plus courts pour essayer de leur donner plus de volume. Puis, j’ai découvert les perruques, qui ont changé ma vie et m’ont permis de vivre sereinement, « en colocation », avec l’alopécie. Aujourd’hui, grâce aux perruques que j’ai, j’ai une relation neutre avec ma condition. Cette solution m’a permis de surmonter et d’accepter cette pathologie, bien que je comprenne que ce soit une solution parmi d’autres et qu’elle ne convienne pas forcément à toutes les femmes.
Comment la maladie a-t-elle affecté votre vie et modifié votre projet professionnel ?
J’ai décidé d’intégrer cet aspect de ma vie dans ma pratique professionnelle, car il s’agit d’une problématique qui laisse les femmes démunies et pour laquelle elles ne reçoivent pas beaucoup de compassion et d’empathie. Même s’il est vrai qu’il y a des pathologies plus lourdes, il n’y a, selon moi, pas de petits problèmes dès qu’ils affectent le bien-être et l’estime de soi d’une personne. Mes patients sont essentiellement des femmes jusqu’à présent.
Alors qu’avant je me posais beaucoup de questions, l’alopécie a trouvé son sens dans ma vie aujourd’hui : je peux enfin aider et accompagner les femmes qui en souffrent comme j’aurais souhaité être accompagnée il y a quelques années.

Quelles sont les principales craintes des patients que vous accompagnez au quotidien ?
Les principales craintes de mes patientes tournent souvent autour de la perte de leur féminité et de la peur de ne plus plaire. Elles se demandent souvent : « Que va-t-il se passer si je perds encore plus de cheveux ? » et « Comment faire face aux remarques de l’entourage et des coiffeurs ? » Certaines femmes refusent d’aller chez le coiffeur par peur d’avoir des remarques désobligeantes. D’autres ont même peur d’avoir un enfant, car l’accouchement et l’allaitement peuvent parfois provoquer une chute de cheveux supplémentaire.
Quelles stratégies employez-vous pour aider vos patients ?
J’accueille mes patients et les accompagne le long de leur chemin et à leur propre rythme. Je les encourage à s’autoriser à ressentir pleinement leurs émotions et à se sentir légitimes dans leur souffrance. Mon approche est celle de la psychologie intégrative. Nous travaillons donc ensemble à mettre en lumière leurs besoins personnels et, s’ils le souhaitent, un éventuel objectif en lien avec l’alopécie, à découvrir ce qui pourrait les aider à avancer, leurs ressources, ainsi que ce qui pourrait les empêcher un peu également, leurs freins.
Leur estime de soi étant très souvent fortement blessée, je leur propose également des outils, des exercices afin de remettre en avant leurs points forts, leurs qualités, afin de développer leur confiance en eux-mêmes dans des domaines différents de l’image corporelle.
Qu’aimeriez-vous dire aux personnes à qui on annonce le diagnostic de cette maladie ?
Cet article parle de l’alopécie en général autant féminine que masculine, mais comme je reçois essentiellement des femmes à mon cabinet, c’est à elles que je souhaite m’adresser pour conclure cet entretien : vous n’êtes pas seules dans cette épreuve et il est important de se rappeler que l’alopécie ne définit pas votre valeur et votre féminité.
Vous méritez toute la compassion et le soutien nécessaires pour traverser cette période. Aujourd’hui, pour moi, les cheveux sont un accessoire au même titre que des faux ongles ou des faux cils. Si tel est votre souhait, avec le temps, vous pourrez également en porter un jour et même y prendre du plaisir.
L’indépendance de l’opinion de la patiente a été entièrement respectée

