Le « binge drinking » … ce jeu dangereux à la mode

Les bouchons qui sautent, les verres qui tintent en terrasse. Cette petite musique rythme chaque année l’arrivée des beaux jours. Galvanisés par le retour de la chaleur et des jours qui rallongent, les jeunes en quête d’ivresse sont les champions des concours de levée de coude. Si la consommation d’alcool a tendance à baisser dans la population, la manière de boire devient plus inquiétante : les jeunes boivent plus vite et en plus grande quantité. Pourquoi l’alcool reste-t-il un produit particulièrement dangereux ? Rencontre avec le professeur Daniele Zullino, chef du service d’Addictologie aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).

Par Thierry Amann

Le problème que l’on rencontre chez les jeunes de 15 à 25 ans est une consommation excessive, ponctuelle voire parfois régulière d’alcool. Un phénomène qu’on appelle le «binge drinking» ou «beuveries express» qui va durer quelques mois ou quelques années. Le problème est que ceux qui boivent beaucoup à l’adolescence sont ceux qui continueront de boire de manière excessive à la trentaine. Ainsi, plus on réduit la consommation d’alcool tôt, plus on réduit les problèmes d’alcool plus tard. Ceux qui commencent à boire à 14 ans auront plus de risques que s’ils commencent à 16 ou 18 ans. Plus on retarde l’âge où on commence à boire et plus on réduit les risques.

Pourquoi les jeunes boivent-ils ?

Il y a 3 phases qui incitent les jeunes à boire :

1/ La première est l’initiation: on ne va pas boire pour retrouver les effets de l’alcool car on ne les a jamais connus. Ce qui motive, ce sont surtout des facteurs contextuels: on fait du mimétisme parce que les amis boivent, ou encore on va boire pour se démarquer parce que les autres ne boivent pas. Comme pour le cannabis et le tabac, la motivation première est avant tout sociale : être intégré dans un groupe.

2/ La deuxième phase est liée aux effets de l’alcool: on a déjà ressenti et apprécié ses effets, son rôle sur l’anxiété et le stress. L’alcool peut faire tomber la timidité, il désinhibe et devient donc une sorte de lubrifiant social. Une petite quantité peut effectivement faciliter les rapports sociaux mais plus la dose est importante plus il y a de risques notamment de sédation et de coupure sociale : on va trop boire et se mettre à piquer du nez, la drague en soirée devient alors difficile.

3/ Enfin, la troisième phase et c’est la plus inquiétante, est celle de l’addiction : lorsqu’on perd le contrôle sur sa consommation. Lorsque cela devient un automatisme comportemental un peu comme la cigarette que l’on va fumer de manière irréfléchie comme un réflexe. On va boire sans être obligé d’être entouré ou d’être en soirée avec des amis par exemple. L’alcool va agir sur le cerveau et va provoquer une consommation qui n’est plus du tout réfléchie.

Le phénomène du «binge drinking» ou des «beuveries express » est très répandu chez les jeunes. Pourquoi est-ce particulièrement dangereux ?

Le « binge drinking », c’est le fait de boire 6 verres ou plus par occasion. La consommation du premier verre déclenchée par une situation contextuelle (bar, soirée entre amis, anxiété ou tristesse) va stimuler la consommation d’un deuxième, puis d’un troisième verre et ainsi de suite. Chaque verre amorce le verre suivant, ce qui est l’indicateur d’une forme d’addiction dangereuse contrairement à la consommation traditionnelle d’un ou deux verres par occasion.

Plus on augmente la dose d’alcool, plus il y a de risques pour la santé. Ensuite, plus un jeune va pratiquer le binge drinking et plus il risque les complications. Tout simplement parce que plus on boit et plus on augmente la quantité de catalyseurs qui éliminent l’alcool, on va, en d’autres termes mieux tenir parce qu’on y est habitué. Mais si on ne boit pas pendant des semaines ou des mois, le risque de coma voire de décès augmente car on manque «d’entraînement», si l’on peut dire. C’est ce qui arrive avec certains jeunes qui atterrissent aux urgences dans un état comateux, on ne peut pas les réveiller, leur respiration est diminuée. Dans des cas extrêmes, il y a même arrêt respiratoire et des effets sur le système cardiovasculaire.

« L’alcool attaque tout, c’est même la cause de mortalité évitable la plus importante. »

Même s’il est en vente libre et consommé aux yeux de tous, pourquoi l’alcool reste-t-il une substance dangereuse pour la santé ?

L’alcool est une toute petite molécule qui va se répandre partout dans l’organisme, sans exception. A la longue, une consommation peut interférer avec d’innombrables processus biologiques. Le cerveau, le foie, les nerfs, les yeux, le système cardiovasculaire et même les hormones sexuelles peuvent être touchés par l’alcool. L’alcool attaque tout, c’est même la cause de mortalité évitable la plus importante.

Il faut donc continuer à réduire l’accès à la substance, à espacer les points de vente, et à réglementer les lieux de consommation pour les jeunes. Il ne faut pas non plus aller jusqu’à interdire l’alcool car toutes les substances illégales entraînent la création d’un marché noir. Avec un produit légal, on peut continuer à définir les règles de qualité du produit. Le prix joue aussi un rôle essentiel chez les jeunes car il freine la consommation. Ce qu’il faut à tout prix, c’est « dénormaliser » certaines pratiques, par exemple prendre l’apéro ne doit pas être la normalité, tout comme fumer dans un espace public.

Des actions pour limiter sa consommation apparaissent ces dernières années, notamment le « Dry January» qui est l’abstinence d’alcool durant tout le mois de janvier. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne initiative, elle induit une prise de conscience face un problème de santé publique, cela peut aider à changer les mentalités. Sur le plan médical, je suis moins enthousiaste car 1 mois d’abstinence n’a pas beaucoup de sens en réalité. Ce qui aurait du sens, c’est d’avoir 1 ou 2 jours d’abstinence par semaine sur toute l’année et pas un mois sans alcool et les onze autres rythmés par une consommation normale.

Je dirais à ceux qui boivent régulièrement d’essayer de boire moins et à ceux qui ne boivent pas, qu’ils n’ont pas besoin de boire. Ne boire qu’un seul verre c’est déjà toxique mais cela peut être aussi du plaisir, or du plaisir récurrent, tous les jours ou tous les deux jours, ce n’est plus du plaisir mais une habitude.

Cet article vous a plu ?
Abonnez-vous à la version papier Salle d’attente pour avoir accès à toutes les informations sur le sujet: témoignages, tests, adresses utiles, infographies et autres.
Alors n’attendez-plus !
CHF39.00

Loading

Partagez sur

Facebook

Plus d’articles :

Ravivez la flamme sous la couette

Dans notre précédente édition, nous avions abordé le thème du désir sexuel et des possibilités thérapeutiques d’en éprouver un à nouveau lorsque ce dernier s’estompe ou disparaît. Aujourd’hui, nous traitons des raisons qui nous poussent à avoir une activité sexuelle et des facteurs hormonaux et physiologiques qui peuvent influencer notre capacité à avoir envie sexuellement.

Loading

Lire la suite »

Pour des jambes en pleine forme !

Souvent douloureuses, les varices sont bien plus qu’un simple problème esthétique. Si la génétique joue un rôle dans leur développement, les choix de mode de vie et les habitudes quotidiennes peuvent avoir un impact significatif sur l’évolution de la maladie. Entretien réalisé auprès de la Dre Pauline Fillet (à droite sur la photo), spécialiste FMH en chirurgie vasculaire , du Dr. Adrian Stefanescu (au milieu) et de la Dre Anne-Cécile Arnoult (à gauche), spécialistes FMH en Angiologie à la Clinique de Genolier.

Loading

Lire la suite »

Gérer les émotions du patient : Accompagner l’annonce d’un diagnostic de cancer du sang

Le diagnostic de cancer du sang plonge souvent les patients dans un tourbillon d’émotions – peur, incertitude et tristesse. Dans cet article, le professeur Wolf Langewitz, professeur émérite de médecine et chargé de cours en psychosomatique et communication à l’université de Bâle, met à disposition son expertise pour aider les patients à traverser les turbulences psychologiques qui suivent un tel diagnostic.

Loading

Lire la suite »

Cancer du sein : la chimio n’est plus automatique

Souvent reconnue comme étant le premier signe visible d’un cancer du sein, la chimiothérapie reste un traitement redouté auprès des patientes. Fort heureusement, dans le cas de certains cancers hormono-dépendants, elle n’est plus automatique lorsque son bénéfice par rapport à un risque de récidive n’est pas prouvé. Une analyse spécifique de la tumeur permet en effet de mieux déterminer l’agressivité et le risque de récidive du cancer.

Loading

Lire la suite »