Les maux d’en haut

Photo by Krzysztof Kowalik on Unsplash

Comme tout environnement naturel extrême, la montagne peut aussi provoquer des troubles dans notre corps. Un peu comme le mal de mer, le mal de montagne, lié à l’altitude et à son manque d’oxygène peut radicalement faire redescendre tous ceux qui rêvaient d’y grimper. On n’y peut rien, ce sont les réflexes de protection ou d’adaptation du corps humain comme l’explique le Docteur Alban Lovis, médecin adjoint au service pneumologie du CHUV.

Par Thierry Amann

Lorsqu’on monte en altitude, la couche atmosphérique diminue ce qui entraîne une baisse de pression barométrique qui résulte en une baisse d’oxygène. Ce manque d’oxygène, déclenche plusieurs mécanismes dans notre corps, comme un réflexe de survie puisque là où il n’y a pas d’oxygène, il n’y a pas de vie. Certains de ces réflexes, phénomènes physiologiques d’adaptation à l’altitude, sont trop ou trop peu développés chez certains sujets ce qui peut provoquer des pathologies que l’on appelle les maladies d’altitude.

On pense tout de suite au mal aigu des montagnes, qu’est-ce que c’est ?

C’est une maladie assez répandue qui touche à peu près 1 personne sur 2 qui va faire une ascension trop rapide et trop haut. Par exemple, un groupe décide de gagner un refuge situé à 4500 m d’altitude dans le massif du Mont Rose pour admirer un beau coucher de soleil. Quelques heures après le départ et à quelques centaines de mètres de l’arrivée, l’un des membres du groupe va ressentir un gros coup de mou : une baisse d’énergie accompagnée d’un mal de tête plus ou moins prononcé et de symptômes digestifs qui peuvent aller du manque d’envie de manger, aux nausées jusqu’au vomissement. Il peut aussi ressentir une sensation de vertige. Notre grimpeur présente tous les symptômes du mal aigu des montagnes. Ce sont un peu les mêmes effets qu’une gueule de bois carabinée. Ces symptômes peuvent être légers, modérés mais aussi sévères avec une personne couchée au fond du refuge en train de vomir alors que ses camarades profitent du coucher de soleil en sirotant un verre de blanc…

Si je suspecte chez quelqu’un les premiers symptômes, quels sont les réflexes à adopter ?

Il faut proposer de faire une pause : on boit, on mange s’il le peut. Ça va lui permettre de stabiliser ses symptômes. Ensuite, il faut repartir doucement en y allant plus lentement. On peut aussi donner du paracétamol pour diminuer le mal de tête et la sensation de fatigue. Si ça ne passe pas, on arrête l’ascension et on attend 12-24 h que la personne s’acclimate. Si les symptômes sont sévères ou s’empirent on s’organise pour redescendre. Le maître mot avec l’altitude c’est que lorsque ça ne va pas on descend! La pression atmosphérique va augmenter tout comme l’apport en oxygène et en quelques heures le mal va disparaître.

Sommes-nous tous égaux face au mal aigu des montagnes (MAM) ?

Non, certaines personnes très sportives, très bien entraînées en basse altitude peuvent être aussi frappées par le MAM comme des personnes non affûtées. Lorsqu’il n’y a pas assez d’oxygène dans l’air, le corps va ouvrir les vaisseaux pour amener plus de sang dans les organes nobles : cerveau, muscles et cœur. C’est le phénomène de la vasodilatation. Si les artères cérébrales s’ouvrent trop, qu’il y a trop d’afflux sanguin dans le cerveau, cela va augmenter la pression intracrânienne et comme le crâne n’est pas extensible cela provoque des maux de tête. On ne peut pas maîtriser ces phénomènes réflexes, ils sont présents au fond de soi et le resteront toute notre vie, ça fait partie des spécificités de chaque corps humain. Et à chaque fois que la personne ira en altitude ces maux auront tendance à revenir.

Peut-on faire quelque chose ? Ou doit-on dire adieu aux randonnées en haute montagne ?

Rassurons-nous, il y a bien sûr des remèdes et des gestes à adopter. On va d’abord favoriser une acclimatation plus douce à ce manque d’oxygène en diminuant l’intensité de l’effort, en y allant lentement sans trop pousser la machine. En d’autres termes : être plutôt un diesel qu’un turbo lors de son ascension quitte à rater un bout du coucher de soleil. On doit aussi respecter des paliers d’acclimatation comme en plongée sous-marine. L’idéal est de viser des paliers d’environ 300 à 500 m de dénivelés par jour quand on dépasse 2500 m d’altitude. Cela va permettre au corps de s’habituer, de limiter l’amplitude de ces phénomènes réflexes et de favoriser l’acclimatation à l’altitude. Troisième conseil : si on est sensible à l’altitude, viser des altitudes sommitales, moins hautes avec des sommets plus raisonnables pour éviter les symptômes. Enfin, il faut être en forme physiquement, se préparer un peu à l’ascension et ne surtout pas se lancer si on est malade. Typiquement, si l’on se rend au Népal pour grimper haut à 6000 ou 7000 m et qu’on attrape une tourista avant de grimper avec des problèmes de déshydratation on peut tout de suite oublier l’ascension. Finalement, il existe des médicaments tels que le Diamox qui peut diminuer d’environ 50% la maladie en accélérant la respiration pour pallier le manque d’oxygène.

A qui s’adresse votre consultation de médecine d’altitude ?

Elle s’adresse à 3 types de patients. Le premier profil type est une personne qui n’a jamais été exposée à la montagne et qui veut savoir si elle va avoir des soucis en grimpant haut. Le grand classique, c’est le cas du couple de jeunes mariés qui a prévu un voyage de noces de deux semaines en Afrique: une semaine de safari et une pour grimper le Kilimandjaro. Le souci c’est que le sommet culmine à environ 6000 m et le gravir en une semaine seulement c’est bien trop court ! Si on reprend la règle des paliers de 300 à 500 m par jour une fois passés 2500 m, cela leur prendrait au minimum 8 jours pour atteindre le sommet. Or, les ascensions sont organisées en 5-6 jours pour inclure la 2ème partie avec le safari, ce qui favorise la survenue de maladie d’altitude. Un voyage de noces aussi loin avec son conjoint malade et un sommet pas atteint c’est plutôt cher payé! Ils peuvent donc nous consulter avant leur départ pour effectuer des tests en hypoxie (avec peu d’oxygène) afin de prédire qui est ou non tolérant à l’altitude, ce qui nous aidera à personnaliser nos conseils et adapter le profil d’ascension pour mettre toutes les chances de leur côté pour arriver au sommet.

« Le grand classique, c’est le cas du couple de jeunes mariés qui a prévu un voyage de noces de deux semaines en Afrique. »

Le deuxième profil type est celui de la personne qui est tombée malade en altitude et qui aimerait savoir pourquoi et comment faire pour que ça ne se reproduise plus. Là pas besoin de tests car on sait qu’il ou elle a le mal des hauteurs. On va lui rappeler les mesures préventives non médicamenteuses et possiblement lui prescrire des médicaments pour favoriser l’acclimatation. Le dernier profil est celui d’un patient souvent âgé, qui souffre de troubles cardiovasculaires ou pulmonaires et qui s’est inscrit à un voyage organisé avec une destination en altitude, par exemple Lhassa au Tibet qui culmine à 3600 m, un grand classique du genre. Vu sa ou ses pathologies, l’altitude va très probablement lui poser des problèmes, on va donc regarder à quel point cela pourrait lui être dangereux, détecter si sa maladie est stable et s’il pourra s’exposer à une diminution d’oxygène sans risques majeurs.

On a vu que le mal aigu des montagnes bien qu’assez contraignant, n’est pas une maladie mortelle. La montagne et ses maux peuvent-ils tuer ?

Je me souviens d’un patient qui voulait gravir l’Everest et qui avait fait toute une série de tests pour évaluer sa sensibilité à l’altitude. Je lui avais donné des conseils, un profil d’ascension pour limiter les risques et je lui avais prescrit plusieurs médicaments en cas de problème. A un camp de base avancé à plus de 7000 m, il a rencontré une autre expédition dans laquelle se trouvait un très jeune Indien de moins de 20 ans, qui était parti à l’assaut du toit du monde et dont l’ascension était d’ailleurs assez médiatisée. Le pauvre jeune homme était bien mal en point, frappé probablement par un œdème pulmonaire et cérébral associé selon ce qui m’a été retranscrit. Les sherpas ne pouvaient pas le descendre tout de suite à cause de la météo. Mon patient lui a donné les médicaments d’urgence que je lui avais prescrits ce qui lui a permis de passer la nuit et de redescendre le lendemain. Ces quelques comprimés lui ont probablement sauvé la vie.

Ainsi la montagne et le manque d’oxygène peuvent engendrer d’autres maladies bien plus graves ?

Effectivement, d’autres pathologies très graves, entraînant un risque vital peuvent survenir après s’être exposé à de hautes altitudes, typiquement 1 à 3 jours après une augmentation de l’ascension. Ce sont les œdèmes pulmonaires et cérébraux, concrètement de l’eau dans le cerveau ou les poumons. Ces œdèmes sont aussi liés à des phénomènes réflexes du corps face à l’altitude que l’on ne peut pas contrôler. Si une personne présente des troubles neurologiques type: troubles de la conscience, somnolence jusqu’au coma, troubles de coordination, ne reconnaît plus ses proches, il faut penser à un œdème cérébral. Si la personne a de plus en plus de peine à souffler, tousse avec parfois des crachats teintés de sang, il faut penser à un œdème pulmonaire. Ce sont des urgences vitales, et il faut redescendre au plus vite. Comme on l’a vu, certains médicaments d’urgence peuvent aussi sauver, de même que de l’oxygène malheureusement pas souvent disponible, ou un caisson hyperbare, mais je le redis, en haute altitude la bonne solution face à un problème majeur de santé c’est la descente !

Cet article vous a plu ?
Abonnez-vous à la version papier Salle d’attente pour avoir accès à toutes les informations sur le sujet: témoignages, tests, adresses utiles, infographies et autres.
Alors n’attendez-plus !
CHF39.00

Loading

Partagez sur

Facebook

Plus d’articles :

CGM, ce système qui a changé le quotidien d’Alexandru

Des millions de personnes vivent avec le diabète, une maladie chronique qui nécessite une vigilance constante. Heureusement, les avancées technologiques comme les systèmes de mesure continue du glucose (CGM) avec un capteur ont transformé leur quotidien, leur offrant plus d’autonomie et une meilleure qualité de vie. Alexandru, 63 ans, retraité dynamique et ancien employé des soins intensifs au CHUV, partage son expérience avec le diabète et explique comment le CGM a marqué un tournant décisif dans sa vie.

Loading

Lire la suite »

Jeûne intermittent – Manger selon les heures, une bonne stratégie ?

Le jeûne intermittent, aussi appelé jeûne par intervalles, est plus qu’une simple tendance. Il s’agit d’un terme générique désignant différentes stratégies de nutrition qui reposent sur des pauses alimentaires planifiées, au lieu de se concentrer sur des aliments spécifiques comme c’est le cas dans d’autres régimes. C’est pourquoi il est perçu par ses adeptes comme moins restrictif. Bien que le jeûne soit une pratique ancrée depuis des millénaires dans de nombreuses cultures et religions, les formes populaires actuelles sont des adaptations modernes.

Loading

Lire la suite »

Addiction : quand le soutien change tout

Alcool, médicaments, drogues, alimentation, dépendances comportementales, peu importe sa forme, l’addiction est une maladie. Elle isole profondément et piège la personne dans une spirale destructrice, la coupant progressivement de ses proches et d’elle-même. Pourtant, des solutions existent. À la Clinique La Métairie, une équipe spécialisée accompagne les personnes souffrant d’addictions vers la reprise en main de leur vie. Rencontre avec Sylvie Vuez, responsable de l’unité des maladies de la dépendance et thérapeute en addictions, dont l’approche humaine offre une voie nouvelle pour sortir de cette impasse.

Loading

Lire la suite »

Du sexe sans stress ?

Aujourd’hui, la sexualité peut s’exprimer de manière beaucoup plus libre – et pourtant, elle est moins pratiquée. Les rapports sexuels avec un ou une partenaire, c’est-à-dire l’acte sexuel avec une autre personne, sont en baisse. Alors pourquoi ne pas simplement avoir moins de sexe, mais avec plus de plaisir ? Et que faire pour que la vie sexuelle redevienne une source de plaisir ? La sexologue Caroline Fux nous aide à y voir plus clair.

Loading

Lire la suite »

Parce que la santé a besoin de prévention : ce que nous devons savoir sur le HPV

Le HPV est répandu dans le monde entier et concerne la plupart des gens à un moment donné de leur vie. Tandis que de nombreuses infections guérissent sans être remarquées, d’autres peuvent avoir des conséquences graves. D’où l’importance de l’information, la prévention et la vaccination. La Dre. Natalia Trofimchuk, médecin cadre en gynécologie, explique ce qui est essentiel en matière de prévention et quel rôle jouent les méthodes modernes de dépistage.

Loading

Lire la suite »

La ménopause touche toutes les femmes – mais pas de la même manière

Certaines ne ressentent presque rien, d’autres sont fortement affectées pendant des années : la ménopause est pour beaucoup de femmes une période d’incertitude. Dans cet entretien, la Prof. Petra Stute, gynécologue à l’Hôpital de l’Île à Berne, explique pourquoi la fatigue est souvent sous-estimée, quel rôle jouent les hormones dans le sommeil – et à quel moment un accompagnement médical est particulièrement important.

Loading

Lire la suite »