Le LSD et la psilocybine (le composé actif des « champignons hallucinogènes ») sont tous deux classés parmi les substances psychédéliques. Au cours des soixante dernières années, l’utilisation thérapeutique potentielle de ces substances a suscité un intérêt croissant, en particulier pour le traitement de troubles mentaux tels que la dépression. Bien que l’utilisation des psychédéliques dans le traitement de la dépression soit encore un domaine de recherche relativement nouveau, plusieurs études et essais cliniques ont donné des résultats prometteurs. Entretien réalisé auprès du Prof. Dr. med. Daniele Zullino, Médecin chef du Service d’Addictologie du Département de Psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève.
Par Adeline Beijns
Cher Professeur Zullino, que sont les psychédéliques et en particulier le LSD et la psilocybine ?
Les psychédéliques sont une classe de substances psychoactives qui produisent de profonds changements dans la perception, la cognition et l’humeur, conduisant souvent à des états de conscience altérés. Ces substances peuvent induire un large éventail d’expériences, notamment des hallucinations visuelles et auditives, des sentiments de connexion avec la nature et le monde qui nous entoure, des perceptions déformées du temps et de l’espace ainsi que des expériences émotionnelles intenses.
Le LSD et la psilocybine sont deux substances psychédéliques bien connues. Le LSD est un composé synthétique dérivé du champignon ergot, qui pousse sur le seigle et d’autres céréales. Il a été synthétisé pour la première fois en 1938 par le chimiste suisse Albert Hofmann. Quant à la psilocybine, elle est un composé psychédélique naturel que l’on trouve dans plus de 200 espèces de champignons, communément appelés « champignons hallucinogènes ». Les effets de la psilocybine sont très similaires à ceux du LSD.
Que se passe-t-il dans le cerveau lorsqu’on prend un tel psychédélique ?
Qu’il s’agisse du LSD ou de la psilocybine, ces deux substances interagissent avec le système sérotoninergique du cerveau. La sérotonine est un neurotransmetteur qui joue un rôle crucial dans diverses fonctions, notamment la régulation de l’humeur, le sommeil, l’appétit et la cognition. Les effets du LSD et de la psilocybine sur la sérotonine sont principalement liés à leur interaction avec un sous-type spécifique de récepteurs de la sérotonine appelés récepteurs 5-HT2A. Lorsqu’ils sont ingérés, le LSD et la psilocybine se lient aux récepteurs 5-HT2A et les activent, parmi d’autres sous-types de récepteurs sérotoninergiques. Cette activation entraîne une cascade d’événements de signalisation en aval qui aboutissent aux effets psychédéliques caractéristiques, notamment une altération de la perception, de la cognition et de l’humeur.
Il est important de noter que si les deux substances interagissent avec le système sérotoninergique, elles n’augmentent ni ne diminuent directement la quantité de sérotonine dans le cerveau. Elles modulent plutôt la signalisation de la sérotonine en agissant comme activateurs sur certains récepteurs de la sérotonine, modifiant ainsi temporairement la façon dont le cerveau traite la sérotonine et y répond. Les mécanismes précis par lesquels le LSD et la psilocybine produisent leurs effets ne sont pas encore totalement compris, et il est probable que leur influence sur le système sérotoninergique ne soit qu’une pièce d’un puzzle complexe.
Quels sont les prérequis pour prescrire des psychédéliques à un patient ?
Actuellement, pour utiliser le LSD ou la psilocybine dans un contexte de recherche ou comme thérapie, les chercheurs et les médecins doivent obtenir les autorisations nécessaires et se conformer à des directives strictes établies par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et l’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic). Les patients sont soigneusement sélectionnés et l’administration de ces psychédéliques se fait dans des conditions contrôlées et surveillées.
Ainsi, le diagnostic et l’historique thérapeutique du patient sont analysés. Lorsqu’il s’agit par exemple de traiter une dépression, le patient doit déjà avoir suivi plusieurs psychothérapies d’une durée suffisante et doit s’être vu prescrire des antidépresseurs. Les doses sont standardisées et le déroulement d’une séance suit un protocole bien établi.
Comment se passe une séance et que vivent vos patients ?
Ils arrivent en général à l’hôpital le matin et on leur administre la dose vers 8 heures 30. Après 30 à 45 minutes, les premiers effets se font sentir et les patients reçoivent des écouteurs pour écouter de la musique. Ils commencent à voir des figures géométriques colorées et ils ont un relâchement des associations de la pensée. Les émotions ressenties et les souvenirs qui refont surface sont généralement positifs. Le sentiment océanique s’installe et il y a aussi un changement de perception du temps : tout est présent. Le passé, le présent et le futur ne font plus qu’un. Après la vision de formes géométriques, les patients voient en général des scènes vécues ou qu’ils pourraient vivre. Ces scènes permettent d’envisager des plans de vie nouveaux qui relancent également des plans de psychothérapies à suivre ensuite.
Vous avez mentionné le sentiment océanique, de quoi s’agit-il précisément ?
Il s’agit d’un état psychologique ou d’une sensation d’unité, d’unicité et d’absence de limites avec le monde extérieur, souvent accompagné d’un profond sentiment de paix intérieure et de bien-être.
Le « bad trip » existe-t-il ?
On parle plutôt d’expérience « challenging ». Ce sont des moments difficiles parfois cauchemardesques mais qui ne durent que quelques secondes voire quelques minutes. Les médecins estiment qu’il s’agit d’une étape importante car c’est à partir de ce moment-là que quelque chose se débloque chez les patients et qu’ils se sentent capables d’affronter le futur. Nous préparons les patients à cette étape.
Et la «mort de l’égo » ?
Ce n’est pas quelque chose que l’on vit avec le LSD ou la psilocybine mais avec la kétamine par exemple. Contrairement au sentiment de plénitude vécu dans le sentiment océanique, la mort de l’égo est effrayant car c’est le sentiment qu’on n’existe plus et qu’on n’existera plus.
Quels sont les bienfaits et les avantages pour les patients atteints de dépression ?
Les psychédéliques se sont avérés efficaces pour traiter les cas de dépression qui n’ont pas répondu aux thérapies traditionnelles, telles que les antidépresseurs et la psychothérapie. Leurs avantages sont nombreux. Il y a tout d’abord l’apparition rapide des effets : les psychédéliques peuvent produire des améliorations rapides de l’humeur et des symptômes dépressifs.
Ensuite, les effets thérapeutiques d’une seule séance s’étalent dans la durée, ce qui réduit la nécessité d’un traitement fréquent. La recherche suggère aussi que les psychédéliques peuvent favoriser la neuroplasticité, c’est-à-dire la capacité du cerveau à changer et à s’adapter, ce qui peut contribuer à leurs effets antidépresseurs. Par ailleurs, les psychédéliques peuvent améliorer le processus thérapeu- tique en favorisant l’introspection, les percées émotionnelles et un plus grand sentiment de connexion avec les autres, ce qui peut être bénéfique dans le traitement de la dépression.
Enfin, les expériences psychédéliques peuvent conduire à un changement de perspective sur la vie, les relations et les défis personnels, ce qui peut aider les personnes souffrant de dépression à mieux comprendre leur état et à trouver des mécanismes d’adaptation plus sains.
Quels sont les risques de recourir à ce type de thérapie ?
Si les conditions d’administration sont respectées c’est-à- dire dans un cadre médical, il n’y a pas de risques physiques c’est-à-dire pas de risque d’overdose, cardiaque, respiratoire, hépatique et neurologique. Il n’y a pas non plus de risque d’addiction. Même s’il n’y a pas aujourd’hui de description que ces psychédéliques pourraient induire des psychoses, on reste prudent en évitant de les prescrire ayant des risques d’en développer.
Comment envisagez-vous l’avenir des psychédéliques au sein de la psychiatrie ?
Ils vont révolutionner le traitement de la dépression et de l’addiction car ils permettent, en un nombre limité de séances, ce qu’aucun autre médicament n’est capable de faire. Bien sûr, la dépression ne disparaitra pas de la surface de la terre mais les psychédéliques permettent de relancer le développement de la psychothérapie.
Professeur Zullino, le mot de la fin ?
Ces substances ne sont pas pour tout le monde. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas parce qu’un médicament est efficace qu’il doit pour cela est pris par tout un chacun.