Légitimer la vaccino-hésitation

S’il y a bien une chose que les neurosciences nous apprennent, c’est que l’homme est naturellement programmé pour hésiter. Même si l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que chaque année, 2 à 3 millions de personnes sont sauvées grâce aux vaccins, pourquoi ne serait-il dès lors pas normal, voire légitime, d’hésiter lorsqu’il s’agit de se faire administrer un vaccin ? Entretien auprès du Docteur Alessandro Diana, Médecin responsable au Centre de pédiatrie de la Clinique des Grangettes-Hirslanden et Chargé d’enseignement à la Faculté de médecine de Genève (UNIGE). 

Par Adeline Beijns

Docteur Diana, depuis le développement d’un vaccin contre le coronavirus, on a vu émerger plusieurs termes tels que novax, antivax et vaccino-hésitants. Quelles différences existe-t-il ?

En effet, c’est la crise du coronavirus qui a mis en lumière les différents comportements qui existent face à la vaccination. L’émergence de nouveaux termes génère de la confusion tant pour le grand public que pour les professionnels de la santé. Lorsque nous prenons un échantillon de la population, on estime que 70% des individus sont généralement adhérents et suivent les prescriptions émises par l’Autorité publique de la santé tandis que les 30% restants, sont des vaccino-hésitants, c’est-à-dire que ces personnes émettent des doutes voire remettent en question la vaccination. Les vaccino-hésitants ne constituent pas une population homogène et il existe trois principaux sous-groupes constitués de novax, d’antivax et d’indécis.

Bien que la littérature scientifique n’ait malheureusement pas encore abordé cette granularité, on peut avancer que les novax et les antivax représentent 10 à 20% des vaccino-hésitants et sont les personnes non-vaccinées qui refusent la vaccination en bloc. C’est leur droit. Les 80 à 90% restants sont des personnes indécises qui ont reçu les principaux vaccins mais qui émettent des réticences et qui ont des interrogations quant au vaccin contre la Covid. Un novax est une personne qui refuse la vaccination en bloc. Quant aux antivax, il s’agit de personnes novax qui s’engagent dans l’activisme afin de militer pour l’« anti-vaxisme » par l’organisation de conférences et de réunions. Ces individus vont donc plus loin que les « simples novax ».

De ma propre expérience, il existe véritablement un spectre de la vaccino-hésitation et tout le monde n’est pas dans la même catégorie. Comprendre dans quel groupe un patient se situe, permet aux professionnels de la santé de savoir s’il vaut la peine de s’engager dans un véritable partenariat thérapeutique où les deux parties sont écoutées. J’ai appris, au cours des dernières années, qu’il ne fallait par exemple pas essayer de convaincre un antivax car il faut alors s’attendre à un retour de manivelle (la personne peut s’enfoncer dans son biais de certitude).

Que se passe-t-il dans la tête d’un vaccino-hésitant ?

Très honnêtement, une personne qui se pose des questions quant à la vaccination est une personne intelligente qui analyse et réfléchit, de manière tout à fait naturelle, face à un acte médical qu’il ou elle s’apprête à recevoir. On pourrait même dire que le patient vaccino-hésitant est victime de son cerveau analytique.

Comment faut-il alors approcher un vaccino-hésitant ? Y a-t-il des choses à ne pas faire ?

Il convient avant tout de légitimer le doute et prendre conscience que le patient fait partie intégrante de la décision thérapeutique et qu’il faut son consentement. Il y a 15 ans, je n’aurais pas dit cela mais l’expérience m’a prouvé qu’il était contre-productif de vouloir convaincre à tout prix et de « balancer » des informations scientifiques à une personne qui ne cherche pas le dialogue et qui a décidé qu’elle ne changerait pas d’avis.

Quelles sont les techniques de l’entretien motivationnel que vous appliquez dans vos consultations ?

Elles sont issues des recherches du professeur britannique de psychologie clinique, Stephen Rollnick, qui a cherché à comprendre, pourquoi certaines thérapies pour traiter l’alcoolisme échouaient. Il en a conclut qu’il était crucial d’écouter le patient, d’avoir de l’empathie et de comprendre sa motivation. Je demande donc toujours à mes patients s’ils ont des questions quant à la vaccination. Après avoir cerné le sujet qui inquiète la personne, je lui demande si elle serait d’accord que je lui donne des faits et des statistiques relatives au thème abordé. Après avoir répondu à la question posée, il faut laisser la prise de décision au patient. Les professionnels de la santé ont le devoir d’accompagner leurs patients mais la décision finale, leur revient.

Quel est l’impact de cette technique sur le patient ?

Il ou elle est généralement reconnaissant d’avoir eu la possibilité d’être écouté et d’avoir pu poser les questions qu’il ou elle se posait, sans être interrompu par le professionnel de la santé. Cela instaure une confiance qui est la pierre angulaire de la relation thérapeute-patient dans laquelle l’écoute et la compréhension sont de mise afin que le patient puisse faire valoir son rôle de partenaire thérapeutique.

Est-ce que ça marche toujours ?

Hélas non, comme je l’ai encore expérimenté il y a quelques temps. Un vieux monsieur d’origine italienne est venu me consulter, sur le conseil de son fils. Après quelques minutes, je lui donne l’occasion de me poser les éventuelles questions qu’il aurait et je lui demande « qu’aimeriez-vous savoir cher monsieur ? ». Ma question l’a déstabilisé et il m’a répondu « docteur, est-ce que ce n’est pas vous qui devriez savoir ? Pourquoi me posez-vous cette question ? ». Ce patient n’avait visiblement pas besoin d’un partenariat thérapeutique et souhaitait uniquement que je lui dise ce qu’il devait faire ou ne pas faire. Les techniques de l’entretien motivationnel ne sont donc pas la panacée à toutes les hésitations. 

Vous avez aimé cet article ? Ne manquez pas :

Cet article vous a plu ?
Abonnez-vous à la version papier Salle d’attente pour avoir accès à toutes les informations sur le sujet: témoignages, tests, adresses utiles, infographies et autres.
Alors n’attendez-plus !
CHF39.00

Loading

Partagez sur

Facebook

Plus d’articles :

Prisonnière du bien-être : témoignage d’une addiction invisible

Lorsque la quête du bien-être vire à l’obsession, l’équilibre se brise. Aujourd’hui, de nouvelles formes d’addictions émergent, souvent masquées derrière des comportements perçus comme vertueux : le sport et l’alimentation saine. La bigorexie, addiction à l’activité physique, et l’orthorexie, obsession de manger sainement, peuvent devenir une prison invisible. Jeanne Spachat, auteure du livre « La nouvelle vie d’un caméléon », a connu ces dérives. Elle témoigne aujourd’hui de ce combat intérieur vers un équilibre retrouvé.

Loading

Lire la suite »

Rhinosinusite chronique : ne laissez pas les polypes nasaux prendre le dessus

La rhinosinusite chronique sévère avec polypes nasaux est une affection qui impacte considérablement la qualité de vie des patients. Elle se caractérise par une inflammation persistante des muqueuses nasales et sinusiennes, accompagnée de formations polypeuses qui peuvent gêner la respiration, diminuer l’odorat et entraîner des infections récurrentes. Pour mieux comprendre cette maladie ainsi que les approches thérapeutiques actuelles, nous avons interrogé le Professeur Matteo Trimarchi, expert en oto-rhino-laryngologie à l’Université de la Suisse Italienne et chef du service d’ORL à l’Ente Ospedaliero Cantonale de Lugano.

Loading

Lire la suite »

Chirurgie de l’épaule : au-delà du geste technique

L’épaule, articulation complexe essentielle à la mobilité quotidienne, peut être affectée par divers troubles tels que l’arthrose, les lésions tendineuses ou les traumatismes. La chirurgie de l’épaule s’est considérablement perfectionnée ces dernières années, mais reste un acte délicat, notamment chez les patients âgés ou très actifs. Pour explorer les avancées, les défis actuels et les bonnes pratiques en chirurgie orthopédique de l’épaule, nous avons rencontré la Dre. Cristina Bassi, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur à la Clinique de Genolier.

Loading

Lire la suite »

Fibrose pulmonaire idiopathique : d’une toux persistante à une greffe des poumons

La fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) est une maladie pulmonaire grave dont les causes restent encore largement inconnues. Elle provoque une cicatrisation progressive et irréversible du tissu pulmonaire, réduisant ainsi l’oxygénation du sang. Malheureusement, son diagnostic intervient souvent tardivement, car les symptômes précoces peuvent facilement être confondus avec une simple toux ou un rhume persistant. À travers le parcours d’Urbain Ndecky, un homme de 57 ans au courage remarquable, découvrez comment une simple toux s’est transformée en un combat quotidien pour la vie.

Loading

Lire la suite »

Retrouver son souffle grâce à la réhabilitation pulmonaire

Souffle court, essoufflement au moindre effort, isolement social : voilà les difficultés auxquelles doivent faire face de nombreuses personnes souffrant de maladies respiratoires chroniques. La réhabilitation pulmonaire offre une réponse adaptée et multidisciplinaire permettant non seulement d’améliorer le souffle mais aussi de diminuer le handicap et favoriser la resocialisation des patients. Pour mieux comprendre les spécificités de cette thérapie, nous avons rencontré le Professeur Jean-Paul Janssens, pneumologue et responsable du programme de réhabilitation pulmonaire ambulatoire à l’Hôpital de La Tour et Nicolas Beau, physiothérapeute et co-responsable du même programme.

Loading

Lire la suite »

Le secret des centenaires

Chers lecteurs et lectrices, je me considère comme une véritable ambassadrice d’une belle cause : celle de la recherche sur la longévité. Pourquoi ? Parce qu’elle nous offre des clés pour vivre en meilleure santé et plus longtemps. Mais parlons chiffres : quel est l’objectif des chercheurs ? Viser 120 ans, et ce, en pleine forme ! Certains vont même jusqu’à envisager 130 voire 150 ans. Des projections ambitieuses, peut-être trop. Pour ma génération et probablement les suivantes, ces chiffres relèvent encore de la science-fiction. Mais vivre 90 ans en bonne santé ou même atteindre les 100 ans semble de plus en plus à notre portée.

Loading

Lire la suite »