48 heures pour te dire au revoir – témoignage Covid-19

Photo by Marc Rafanell López on Unsplash

Je viens de terminer mon dernier effort. A bout de souffle, j’ai l’impression que mes jambes vont se dérober.  J’inspire, j’expire, encore et encore pour faire redescendre mon cardio. Mon pouls se calme. Je transpire à grosse gouttes. Ces 700 mètres de dénivelés ont eu raison de moi. Je me pose sur le dernier rocher en haut de la falaise. La vue est à couper le souffle. Mon téléphone sonne, c’est un Skype. « Je t’aime papa », j’ai la voix qui tremble, les larmes qui montent. Je raccroche, je m’effondre. C’est atroce. Je le sais, je viens de dire le dernier au revoir à mon papa. 

Par Nina Reic

Jour 0

On est début Avril, le confinement a commencé depuis un moment. Avec ma femme et mes enfants, nous habitons en montagne. A 1000 mètres d’altitude, pas de voisins, pas de trafic, nous sommes presque devenus des sauvages avec le temps. La corona est pour nous synonyme de repas au soleil, de randonnées, de sorties vélo, de fous rires à quatre. Quand on ne regarde pas les étoiles on regarde un film. Parfois même le journal télévisé. Depuis quelques temps, les médias nous bombardent avec le Covid-19. Entre la paranoïa, la crise sanitaire, l’effondrement d’une économie mondiale et la psychose du peuple, j’avoue qu’on se sent un peu dans la 4èmedimension. Sans vraiment comprendre ce qui se passe et n’y croyant pas vraiment, on applique tout de même les nouvelles mesures, pourvu que les familles restent en bonne santé. 

Jour 1

Mes parents résident en Alsace, ceux de ma femme dans le Sud de la France. Nous, nous sommes à mi-chemin, en Suisse. Nos parents habitent les deux foyers les plus infectieux. Ils nous décrivent la situation comme apocalyptique, les parents de ma femme allant jusqu’à parler de troisième guerre mondiale. On a toujours du mal à croire à ce qui se passe, à ce qu’on entend. Ma mère me téléphone ce matin pour me prévenir que papa ne se sent pas bien depuis trois jours. Les secours sont arrivés, ils l’ont emmené aux urgences à Mulhouse. 

Jour 2

En train de jouer au babyfoot avec les enfants, mon téléphone retenti à nouveau. Papa a été testé positif au Covid-19. « Mais t’es sérieuse maman ? » et pourtant oui. Elle pense qu’il a contracté le virus deux semaines avant lors d’une visite de contrôle, en se rendant chez son médecin traitant. Ne t’inquiète pas, me rassure ma maman ; il est sous oxygène et il va être traité à la chloroquine. Décidemment ce virus auquel on croyait à peine a déjà pris possession de mon père. Et cette chloroquine si controversée est devenue l’arme numéro 1 des médecins. On vit vraiment dans un monde parallèle !

Jour 4

Papa a bien réagit à la chloroquine jusqu’à aujourd’hui. Maintenant il tachycarde à cause de ses problèmes de cœur qu’il a eu par le passé. Son état général s’est en revanche amélioré. Il respire à nouveau correctement. On lui a retiré son oxygène. Le médecin nous informe qu’il le garde encore quelques jours en observation et en confinement, mais qu’ensuite papa pourra sortir et rentrer chez lui. Je suis content de cette nouvelle et retourne à mes occupations. Ma femme tente de construire un abri pour animaux avec des branches et des draps. Merde, je dois intervenir !!

Jour 6

Les enfants sont occupés, c’est le moment de trinquer ! Il est 19h00, ma femme et moi admirons le coucher du soleil. Encore quelques minutes, voire quelques secondes et les derniers rayons de soleil s’en iront mourir derrière la dent du midi. Le spectacle est merveilleux et chaque jour différent. On adore les bulles elle et moi. Les miennes explosent dans le malt alors que les siennes préfèrent le raisin blanc. Après toutes ces années ensemble et les surprises plus ou moins bonnes, je constate encore cette malice dans ses yeux. Son regard me trouble et mince ! mon téléphone sonne à nouveau. Ma mère m’informe que papa a à nouveau du mal à respirer. Il est sous oxygène et sans chloroquine cette fois. C’est moi qui appellerais le médecin demain pour prendre des nouvelles. 

Jour 7

Je viens de terminer mon dernier effort. A bout de souffle, j’ai l’impression que mes jambes vont se dérober. J’inspire, j’expire, encore et encore pour faire redescendre mon cardio. Mon pouls se calme. Je transpire à grosse gouttes. Ces 700 mètres de dénivelés ont eu raison de moi. Je me pose sur le dernier rocher en haut de la falaise. La vue est à couper le souffle. On m’a annoncé ce matin après un scan, que mon papa a perdu la moitié de chaque poumon à cause de ce foutucorona. Mon téléphone sonne, c’est un Skype. J’avais convenu d’un appel vidéo avec l’infirmier du service Covid-19 où se trouve mon père. Je ne l’ai pas entendu depuis 10 jours. L’image apparaît. Je vois un personnage bouffi, encerclé d’un masque médical et qui peine à respirer. Ce personnage c’est mon père. Nous échangeons quelques mots. Je me rends compte qu’il arrive à peine à parler. Je décide de lui montrer les montagnes. Il a toujours adoré la nature. J’espère que cette image lui fera du bien. Je ramène la caméra sur moi. Je me pince la cuisse pour me réveiller de ce cauchemar et ravale un sanglot. « Je t’aime papa », j’ai la voix qui tremble, les larmes qui montent. J’entends « isous ». L’infirmier me dit que papa nous fait des gros bisous. Il ne parle jamais comme ça d’habitude. Je raccroche, je m’effondre. C’est atroce. Je le sais, je viens de dire le dernier au revoir à mon papa. 

Jour 8

Un dimanche matin comme les autres. J’ai les muscles qui tirent. Ma femme et moi attaquons le petit déjeuner comme des affamés. Elle a de la confiture qui coule au coin de sa bouche. J’ai du beurre collé partout sur tous les doigts. Qu’importe, on a faim, les randonnées ça creusent. On se tâte et se chamaille sur la marche qu’on va faire aujourd’hui. Elle aime le vide et les spots vertigineux, je préfère les courses de fond et les alpages. Elle aime le soleil, déteste les vaches, j’aime la forêt et déteste la foule. On va bien trouver un juste milieu. Le téléphone sonne, trop tôt cette fois. Je la regarde, elle me regarde. Ma femme le sait, je le sais aussi, je ne veux pas me l’avouer. Je l’avais senti hier, je lui avais dit je t’aime. J’ai peur. J’ai peur de décrocher ce fichu de téléphone. Mon cœur s’accélère, j’en ai la tête qui tourne. Pitié pas ça. Je vous en supplie, pas ça. Pas lui, cette force de la nature, jamais malade. PAS LUI. Lors de nos disputes et face à son égoïsme, j’ai toujours pensé qu’il allait mourir seul. Aujourd’hui je me sens tellement con d’avoir pensé ça. La sonnerie continue. Je décroche. 

 « Marc, papa est décédé ce matin à 5h30 ». Ces mots ont sonné le glas. Mon papa n’est plus là. Je reste fort, ma mère a besoin de soutien. Une fois de plus je me pince la cuisse, l’autre côté cette fois-ci. J’ai mal, à la cuisse d’abord, je crois que je viens de me faire un hématome, merde oui c’est tout bleu. J’ai mal au cœur, je suis sous le choc. En 48heures j’ai perdu mon papa à cause de ce foutucorona. Moi qui n’y croyais pas, je prends conscience que mon papa est mort. Je raccroche, cette fois les larmes sont là. Je ne peux pas m’empêcher, mon papa est mort. Foutu Corona … 

Epilogue

J’ai 31 ans, mon conjoint en a 43. Il ne croyait pas au Corona et moi non plus. Pour nous, c’était une vilaine grippe. Certes plus contagieuse, mais juste une grippe. Les médias savent s’emparer de ce genre d’informations et créer le chaos au sein de la population. Quand on a su que le papa de mon conjoint était atteint du Corona, on ne voyait pas de danger. Puis il y a eu la chute, la descente. En 48 heures, son papa nous a quitté. Cette situation nous a mis une gifle si violente que nous sommes tous en état de choc. Dire un dernier adieu par écrans interposés, ne pas pouvoir assister à l’enterrement, ni serrer sa maman dans les bras. Faire son deuil entre parenthèse. C’est ça le Corona. Restez chez vous, prenez soin de vous.

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