L’histoire d’un proche aidant

Photo by Cristian Newman on Unsplash

C’est l’histoire de Désirée qui, à l’âge de 55 ans, après que ses enfants se soient envolés du nid, était fin prête à consacrer sa vie aux voyages avec son mari au gré de ses envies. Et pourtant, la vie en a décidé autrement. Le cauchemar a commencé à ce moment-là. Assise au chevet de sa mère, à temps plein, Désirée a compris que ses rêves et ses projets deviendraient inaccessibles. 

Par Ana Popov

C’était une femme dynamique, très affirmée et autonome depuis le décès de mon papa il y a quelques années. Au point où elle a retrouvé un compagnon de vie qu’elle fréquentait régulièrement et avec qui elle s’entendait bien. J’étais ravie pour elle de la voir si heureuse. Je lui rendais visite souvent et on s’appelait pratiquement tous les jours. Et puis, elle, pudique et réservée sur les questions intimes, a commencé à parler de sexe de plus en plus. Au début, un peu gênée, j’étais contente de voir ma maman éprise d’un nouvel homme. C’est comme si une deuxième jeunesse s’offrait à elle. Avec du recul, je pense que c’était un des premiers signes. Le suivant était le temps qu’elle consacrait à ses papiers. Elle pouvait passer des heures à régler une facture ou consulter ses relevés de compte, qu’elle ne comprenait plus ! Elle avait de plus en plus de mal à gérer son administration au point de me demander de l’aide. Jamais ma maman ne m’avait demandé de l’aide auparavant à ce propos, elle était bien trop fière. Ce sont les premiers signes dont je me suis aperçue, peut-être trop tard. Il devait sûrement y en avoir bien d’autres avant mais je n’y prêtais pas attention.

Vous décrivez quelques signes qui arrivent à tout le monde. Y en a-t-il eu des plus alarmants ?

Oui, bien sûr! Je me suis rendu compte qu’elle avait signé plusieurs contrats d’assurances complémentaires santé, qu’elle faisait pas mal d’achats par correspondance et payait le double de la somme initiale. Elle égarait ses lunettes, puis ses clés, sa carte bancaire. Elle perdait l’argent ou tout simplement le jetait à la poubelle par inadvertance. Elle me téléphonait en pleine nuit pour me demander que servir à ses invités qui étaient assis sur le canapé chez elle. Les hallucinations commençaient.

Sans parler de ses promenades nocturnes dans le quartier. Au retour, elle ne savait plus où était situé son appartement et se rendait chez les voisins pensant que c’était chez elle.

« Il ne fallait surtout pas s’opposer à ses décisions, ça je l’ai vite compris, mais je ne pouvais pas non plus la laisser en danger. »

Vous avez compris à ce moment-là que quelque chose n’allait pas ?

Non, pas tout de suite. J’essayais de la raisonner, de lui donner des conseils; je pensais qu’elle était distraite vu son âge. Mais avec son fort caractère, elle ne voulait pas se laisser guider ou conseiller. Et lorsque cela arrivait, elle se mettait systématiquement en colère. Il ne fallait surtout pas s’opposer à ses décisions, ça je l’ai vite compris, mais je ne pouvais pas non plus la laisser en danger. Changer le gaz par une plaque d’induction, plus adaptée pour elle était source de dispute et de mécontentement. Un temps d’adaptation pour chaque changement était nécessaire, je l’ai compris plus tard. Tout faire en douceur, ne jamais s’opposer, détourner l’attention et passer à autre chose.

Quel a été l’événement déclencheur ou vous vous êtes dit : là je dois faire quelque chose ?

Je me suis absentée quelques semaines et au retour j’ai remarqué que ma maman avait perdu beaucoup de poids. Elle qui était gourmande et excellente cuisinière! J’ai encore une fois compris que quelque chose n’allait pas. Elle ne s’alimentait pas ou plus correctement, elle sautait des repas, mangeait des cookies à la place d’un plat principal, préparait une soupe en versant la moitié du paquet de sel, ce qui n’était pas mangeable. Elle ne savait plus cuisiner. Je ne pouvais plus la laisser seule. Avec les balades nocturnes, son problème de nutrition, ses hallucinations, il n’était plus question de rester sans rien faire. Son médecin traitant nous a conseillé un neurologue et après beaucoup d’examens, le diagnostic était posé. Ma maman souffrait de la maladie d’Alzheimer.

Quelles mesures avez-vous prises pour son bien-être, qui ont pu avoir des répercussions dans votre quotidien ?

Je n’avais pas encore réalisé l’ampleur du terme Alzheimer car j’étais dans l’urgence de trouver une solution confortable. Comment faire? Je ne pouvais pas quitter mon travail du jour au lendemain et j’avais mon mari que je ne pouvais pas quitter non plus pour m’occuper de ma maman. La situation était difficile.

Mais après réflexion et discussion avec mes proches, ma décision était prise. J’allais rester auprès de maman. J’ai pris quelques mois sabbatiques et j’ai déménagé chez maman tout en gardant un pied chez moi.

Je pense que c’est à cette période que j’ai compris que ma maman était vraiment malade. J’ai aussi compris que ce n’était plus la même personne qui m’a mise au monde, m’a élevée, m’a accompagnée et était présente sur tout mon chemin de vie. Même si tout était bien organisé et que nous étions entourés par des professionnels tels que les infirmiers, physiothérapeutes, psychologues, je sombrais petit à petit sur tous les niveaux.

Et par-dessus tout, la fatigue s’est installée. Je n’arrivais plus à récupérer; mon sommeil était tellement léger ou plutôt je ne dormais plus car je guettais les réveils répétés de ma maman. C’est simple, elle ne dormait plus; la nuit, elle se levait toutes les heures et déambulait avec des risques de chutes possibles. Le jour, mes tâches étaient interminables et surtout il fallait être à ses côtés sans arrêt, car elle était tout le temps en mouvements et à la demande d’activités, de conversations. Je passais du temps à expliquer des choses, des situations. Malheureusement, elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait pas faire ce qu’elle voulait comme avant. Etre souriante et de bonne humeur était très important ; maman, sensible, ressentait tout. Plus j’étais énervée, irritable et de mauvaise humeur, moins c’était bon pour elle et moi.

Elle était bien vivante et moi bien épuisée; mon corps ne suivait plus. Je suis tombée malade. Je ne pouvais plus tout faire toute seule malgré ma volonté. La charge de travail était trop lourde, l’engagement trop important, le sacrifice trop grand. C’était se donner entièrement sans relâche et répit possible.

Et là dans l’urgence, j’étais obligée de trouver une solution plus adaptée à toutes les deux. Partager le quotidien de ma maman avec deux autres personnes en relais était une bonne alternative. Ce qui m’a permis de me soigner, surtout de me reposer, et de retrouver le sourire et la patience avec ma maman.

Comment avez-vous géré ce changement de rythme au niveau professionnel et familial ?

Au niveau professionnel, j’ai quitté mon travail très prenant. C’était un choix longuement réfléchi. Au niveau familial, c’était très difficile; je n’étais plus présente et je ne m’occupais plus beaucoup de mes proches. Toute mon énergie était concentrée autour de ma maman. Mais avec la venue d’une autre personne, cela a changé. Les rapports se sont à nouveau établis et je suis beaucoup plus disponible pour ma famille, ma maman et moi-même.

Mentalement, avez-vous réussi à tenir le coup ?

Je suis passée par le déni et la colère, la compassion et le détachement, l’opposition permanente avec ma maman, la déprime et mille questions qui vous passent par la tête sans réponse. Mais je pense que c’est le chemin à faire quand on est dans l’ignorance et que l’on est sans expérience face à la maladie. Mais sachez qu’il y a toujours des solutions, ne jamais perdre espoir et en parler autour de soi.

Et aujourd’hui ? Et après ?

Aujourd’hui même, si ce n’est pas toujours facile, j’essaie de profiter de chaque moment passé au côté de maman dans la bonne humeur. C’est la formule magique, rire et la faire rire, lui faire plaisir pour la rendre heureuse et par la même occasion me rendre heureuse. Et après, je suis consciente que la maladie évolue par palier, que le temps a des limites et que notre formule ne pourra pas durer éternellement mais j’espère de tout mon cœur, le plus longtemps possible. On l’envisagera par la suite, demain est un autre jour…

Cet article vous a plu ?
Abonnez-vous à la version papier Salle d’attente pour avoir accès à toutes les informations sur le sujet: témoignages, tests, adresses utiles, infographies et autres.
Alors n’attendez-plus !
CHF39.00

Loading

Partagez sur

Facebook

Plus d’articles :

Premier rendez-vous : Nathalie se confie

Nathalie, une jeune femme de 29 ans, se trouve à un moment excitant de sa vie. Après avoir rencontré un homme qui l’intéresse profondément, ils ont décidé de passer une soirée ensemble, un rendez-vous qui pourrait bien devenir intime pour la première fois. Pour Nathalie, se sentir prête pour ce moment va bien au-delà de choisir la tenue parfaite ou de se coiffer. Elle sait que l’hygiène intime joue un rôle clé dans sa confiance en elle.

Loading

Lire la suite »

Le top 5 des troubles vaginaux

Dans notre quête quotidienne de bien-être, la santé vaginale joue un rôle crucial, bien qu’elle soit souvent négligée ou entourée de tabous. Or, savoir c’est prévenir et guérir. Parlons-en.

Loading

Lire la suite »

De la selle au scalpel : mésaventures avec les glandes de Bartholin

Véronique, 27 ans, est une coordinatrice dynamique dans le domaine du marketing. Entre ses responsabilités professionnelles et ses passions personnelles, elle mène une vie bien remplie. Passionnée d’équitation, elle passe une grande partie de son temps libre à cheval. Cependant, une expérience inattendue est venue perturber son quotidien : une infection des glandes de Bartholin. Voici son témoignage.

Loading

Lire la suite »

Le microbiome vaginal : Un équilibre vital pour la santé intime des femmes

Les infections vaginales, telles que la vaginose bactérienne et la candidose, représentent des défis majeurs pour la santé publique. Ces dernières peuvent avoir des répercussions considérables, allant de l’inconfort quotidien à des complications graves comme aux maladies sexuellement transmissibles dans l’appareil génital féminin, des complications lors de la grossesse, et d’autres problèmes de santé reproductive. Abordons le thème du microbiome vaginal et découvrons les facteurs de son déséquilibre et comment veiller à son bien-être.

Loading

Lire la suite »

Une vie avec l’acromégalie

L’acromégalie est une maladie rare qui touche généralement les adultes après l’âge de 50 ans. Elle est causée par une surproduction d’hormone de croissance due à une tumeur bénigne de l’hypophyse. Cependant, dans certains cas exceptionnels, cette condition peut se manifester bien plus tôt. Voici l’histoire de Coralie, une jeune traductrice de 30 ans, qui a découvert à 18 ans qu’elle était atteinte de cette maladie.

Loading

Lire la suite »

Xeroderma pigmentosum : vivre à l’ombre de la lumière

Dans un monde où le soleil nourrit la vie, pour certains, il incarne un danger mortel. Xeroderma pigmentosum, ou XP, est une maladie génétique rare qui oblige ses porteurs à fuir les rayons du soleil. Connus comme les X « enfants de la lune », les individus atteints par le XP naviguent dans un quotidien façonné par l’ombre, afin de protéger leur peau extrêmement sensible aux UV. Découvrons ensemble les défis et adaptations nécessaires pour vivre avec cette maladie.

Loading

Lire la suite »