Le travail, ce pilier de la vie ébranlé par la maladie

Photo by Adeolu Eletu on Unsplash

Depuis près de soixante ans, la Ligue vaudoise contre le cancer aide les patients à consolider les piliers de leur vie fragilisés par la maladie. La Ligue est aussi en première ligne pour gérer les défis d’une maladie qui s’installe de plus en plus dans notre société.

Par Thierry Amann

Le diagnostic, en plus d’être un choc violent pour les patients, provoque un séisme dans leur vie. On se focalise souvent sur la lourdeur des traitements, bien réelle, mais on oublie parfois toutes les conséquences sociales, familiales et financières du cancer. Nous nous occupons de ces aspects complémentaires à la prise en charge médicale. Nos assistantes sociales et assistants sociaux sont là pour accompagner par exemple un patient, en pleine chimiothérapie, qui n’a plus la force d’effectuer des démarches administratives : demander des remboursements de frais médicaux, remplir des formulaires pour l’assurance-invalidité, gérer des questions de droit du travail, etc. Dans des cas précis nous pouvons aussi apporter une aide financière ponctuelle si le malade est en grande difficulté pour payer par exemple la franchise de l’assurance maladie ou des frais de transport pour se rendre à l’hôpital. Certaines familles à faibles revenus peuvent en effet tomber dans la précarité à cause du cancer. Très souvent, ces problèmes administratifs et financiers sont un coup de massue supplémentaire pour des gens déjà très affaiblis. Nous sommes là pour les écouter et les soutenir. Nous avons également une équipe d’infirmières qui les accompagnent sur un volet plus médical avec des conseils pour gérer à long terme les effets secondaires des traitements, comme la fatigue, les difficultés à s’alimenter, etc. Des pans entiers de la vie des patients vacillent, nous aidons les malades à faire face à ces changements profonds.

La Ligue observe depuis des années les dommages collatéraux du cancer dans la vie des patients. Quels sont les grands enjeux sociaux liés à la maladie ?

La tendance générale va vers un accroissement du nombre de patients en raison du vieillissement de la population. On observe aussi qu’avec l’amélioration de l’efficacité des traitements, il y a de plus en plus de gens qui survivent à la maladie. En d’autres termes, il y a davantage de cancers, mais on en meurt moins. Il se dessine là un véritable enjeu social, et même économique, car il est nécessaire de trouver des solutions pour favoriser la réinsertion des survivants dans le monde du travail. Ils doivent pouvoir retrouver leur autonomie. C’est un défi majeur car on estime qu’en 2030 un demi-million de personnes vivront avec un diagnostic de cancer en Suisse. Il faut impérativement entourer et accompagner les patients, d’autant plus que 6 d’entre eux sur 10 retournent travailler après la maladie.

« On observe aussi qu’avec l’amélioration de l’efficacité des traitements, il y a de plus en plus de gens qui survivent à la maladie. »

Le cancer a donc un fort impact sur la vie professionnelle des malades ?

Oui. Pour beaucoup de gens, le travail constitue un pilier de l’existence qu’ils voient s’effriter. Il faut savoir que, dans notre pays, le cancer constitue la troisième cause d’absence de longue durée au travail. Il faut aussi garder à l’esprit qu’en Suisse on peut être licencié pendant la maladie une fois passé le délai de protection légal, conventionnel ou réglementaire et que le revenu des personnes atteintes dans leur santé baisse plus ou moins selon les cas. Leur salaire est en principe versé en partie ou totalement sur une durée qui peut aller de quelques semaines à deux ans. Or, les patients peuvent vite tomber dans un cercle vicieux : leurs rentrées financières diminuent alors qu’ils font face à de lourdes dépenses de santé liées aux traitements et à tous les frais annexes. Il nous semblait donc indispensable de développer une offre de soutien à la reprise professionnelle, ce d’autant plus que les personnes qui ont survécu au cancer présentent davantage de risques de se retrouver au chômage que celles en bonne santé. Une fois guéri, recommencer à travailler est aussi très important pour renouer avec une forme de normalité, pour reprendre un rôle social et éviter de rester sur le bord de la route uniquement parce que l’on a été malade. Ce serait la double peine !

Concrètement, quels sont les principaux problèmes pour les patients qui veulent reprendre le travail ?

Les personnes en rémission qui retournent travailler n’ont souvent, aux yeux de leurs collègues et de leurs employeurs, plus de signes visibles de la maladie. Si elles avaient perdu leurs cheveux en chimiothérapie, plus rien n’y paraît. Elles semblent bien, leur entourage professionnel pense que tout va mieux. Or, elles ont pour la plupart des séquelles de leur maladie et de leur traitement : fatigue, problèmes de concentration, troubles de la mémoire, difficultés psychologiques, limitations physiques pour effectuer certaines tâches, etc. Les employeurs peinent parfois à s’en rendre compte. Il est important de sensibiliser le monde entrepreneurial et d’expliquer que la reprise d’une activité professionnelle est tout à fait possible, mais sous certaines conditions. Notre objectif est de faire comprendre qu’après l’expérience éprouvante de la maladie, un retour progressif au travail et un certain nombre d’aménagements s’imposent.

Comment sensibiliser les employeurs ?

Il faut expliquer aux responsables des entreprises que la personne aura des hauts et des bas et ne pourra pas eprendre tout de suite une activité à 100 %. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’à terme elle ne sera plus capable de travailler comme avant. D’une manière générale, les employeurs font preuve de bonne volonté, ils jouent le jeu mais ne savent pas toujours comment s’y prendre, nous sommes donc là pour les soutenir. Nous avons créé une ligne téléphonique gratuite ouverte aux employeurs et aux employés qui font face à ce type de problème de réinsertion au travail pour les aider à gérer au mieux ces situations délicates. Nous organisons aussi des séances d’informations en entreprise pour discuter des mesures à mettre en œuvre pour accompagner et faciliter la reprise. Concrètement, nous expliquons qu’il faut parfois ajuster les horaires, éviter certaines tâches, aménager les activités ou encore adapter le poste de travail. Suite à un cancer du sein par exemple, certaines femmes perdent une partie de la mobilité de leur bras après une intervention chirurgicale. Il leur devient alors difficile de réaliser certains travaux. Nous essayons de voir comment elles pourraient réintégrer l’entreprise à un autre poste moins « physique ». Nous explorons toutes les possibilités en collaboration avec l’employeur et l’employé.

En quoi ce retour au travail et plus largement ce retour à une activité est-il indispensable au bien-être des patients ?

La réadaptation oncologique est au centre de «l’après-cancer», il faut du temps pour se remettre du mieux que possible de cette épreuve profondément déstabilisante. Il est donc essentiel de développer des mesures qui contribuent au bien-être physique, psychologique et social des patients afin de préserver au maximum leur qualité de vie. Avant, la priorité allait à la survie. Aujourd’hui, avec les avancées de la médecine, on peut aussi se concentrer sur le bien-être, l’autonomie, le retour à une vie «normale». La pratique d’une activité physique adaptée – bénéfique pour la santé pendant et après les traitements –, un soutien psychologique et social, des conseils nutritionnels et, bien sûr, un appui à la reprise professionnelle sont autant d’éléments propices pour trouver un nouvel équilibre de vie.

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