Et si votre surpoids était directement lié à votre tête ?

Qu’elles soient d’origine physiques, diététiques, alimentaires ou psychologiques les causes du surpoids sont multiples. Et si la diététique et les habitudes alimentaires n’étaient qu’une partie du problème ? On estime aujourd’hui que pour 4 patients sur 10, l’obésité est liée à un problème psychologique. Et si notre santé mentale avait finalement une influence directe sur nos problèmes de poids ? Pour le comprendre, rencontre avec le Professeur Alain Golay, médecin-chef du Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). A l’origine de plusieurs programmes de recherche internationaux sur l’obésité, le diabète et l’éducation thérapeutique des patients.

Par Thierry Amann

L’obésité est une maladie psychosomatique chronique. Elle se traduit par un excès de masse grasse et de poids pouvant entraîner des inconvénients pour la santé. Ces troubles peuvent être physiques (diabète, hypertension, apnées du sommeil…) mais aussi psychologiques (dépression, manque d’estime de soi, phobies…). Près de la moitié des patients obèses souffrent de fragilités psychologiques. Parce que c’est une maladie chronique, on peut en diminuer les symptômes en limitant ou en contrôlant le poids mais on ne peut pas vraiment la guérir. Les patients devront faire attention toute leur vie, leur suivi est donc essentiel.

Quand parle-t-on de surpoids et d’obésité? Comment faire la différence ?

Grâce à un calcul très simple ! L’obésité et le surpoids se mesurent à l’aide de l’indice de masse corporelle : l’IMC. Cela consiste à diviser le poids par la taille (en mètre) au carré. Une personne en situation normale obtiendra un résultat compris entre 20 et 25. Une personne sera en situation de surcharge pondérale si son IMC se situe entre 25 et 30. Au-delà de 30, on peut alors parler d’obésité. Il y a d’ailleurs deux types d’obésité : l’obésité pomme et l’obésité poire. La poire est l’accumulation de graisse autour des hanches, c’est un phénomène bien plus fréquent chez les femmes. L’obésité pomme, elle, concerne surtout les hommes car c’est l’accumulation de graisse au niveau du ventre. Cette obésité est d’ailleurs la plus dangereuse car elle favorise les risques de diabète et les maladies cardiovasculaires.

« S’il fallait résumer le problème en une formule, je dirais que les patients doivent d’abord diminuer leur poids de tête avant de diminuer leur poids corporel ! »

Comment expliquer ces problèmes de poids ?

Aujourd’hui, un tiers de la population est en surpoids. On considère ensuite que deux tiers sont sédentaires, c’est-à-dire des personnes qui ne pratiquent que très peu, voire pas du tout d’activités physiques. On peut ensuite largement parler d’épidémie d’obésité, car les cas sont en constante augmentation au fil des années. C’est effectivement assez inquiétant. D’une manière générale, cela s’explique car nous vivons dans une société qui bouge de moins en moins et mange de moins en moins bien. Je rappelle qu’il faut faire au moins 2500 pas par jour pour sortir de l’inactivité. Idéalement, il faudrait même faire entre 2500 et 5000 pas au quotidien pour sortir de la sédentarité. Cette obésité s’explique aussi par le phénomène de la nourriture émotionnelle qui touche beaucoup de personnes. Ce sont des personnes qui compensent le stress par la consommation de nourriture. Cette obésité, souvent liée à un diabète, a un lien direct avec l’apparition de maladies cardiovasculaires. C’est en quelque sorte la racine du mal à laquelle nous devons nous attaquer pour réduire les complications cardiaques.

Les risques sont-ils seulement d’ordre cardiovasculaire ?

L’obésité entraîne évidemment des risques cardiaques et cérébraux. Mais ce que l’on sous-estime c’est qu’à partir de 60 ans, près de 60 % des patients obèses ont des douleurs articulaires aux genoux, aux pieds ou au dos. Il faut savoir qu’en perdant seulement 10 kilos, on peut largement réduire ces douleurs. L’obésité a également un impact direct sur le métabolisme ; elle favorise, comme on l’a vu, le diabète mais aussi l’hypertension et le cholestérol. En perdant simplement 5 kilos, on peut là aussi largement améliorer ces pathologies. Pour résumer : perdre de 5 à 10 kilos seulement peut radicalement changer la vie d’un patient. Mais l’impact certainement le plus important et le plus pesant est d’ordre psychologique. L’obésité pèse et freine considérablement le quotidien des patients! Peur de paraître en public, difficulté à sortir, à pratiquer des activités physiques, douleurs articulaires mais aussi difficultés à trouver un conjoint et parfois même un emploi… Cette maladie a un impact psychosocial très fort. A l’inverse, la perte de poids est une délivrance. Il faut savoir ensuite d’où vient réellement l’obésité pour pouvoir la traiter? Plus d’un tiers des patients qui nous consultent pour de graves problèmes de poids, ont vécu des drames dans leur vie : abus sexuels, maltraitance, harcèlement… L’obésité ne se déclare pas comme ça, elle provient très souvent de lourds traumatismes psychologiques pour plus d’un patient sur trois.

Donc cette maladie que l’on pensait liée à notre estomac et à notre enveloppe corporelle serait d’abord une maladie mentale ?

C’est tout à fait juste. S’il fallait résumer le problème en une formule, je dirais que les patients doivent d’abord diminuer leur poids de tête avant de diminuer leur poids corporel ! Il faut donc en premier lieu analyser ce qui ne va pas dans la tête de nos patients avant même que l’on s’occupe de leur problème concret de nourriture et de poids. Souvent les patients nous disent qu’ils ne savent pas pourquoi ils ont pris du poids. Lorsque nous parlons avec eux on se rend compte qu’il y a très souvent en toile de fond des troubles psychiatriques. Je dirais même que plus l’on fait face à des troubles de comportement alimentaires sérieux, plus on tombe sur des horreurs de la vie: abandon depuis l’enfance, harcèlement, abus sexuels… C’est bien souvent le point de départ de la maladie, voire son amplificateur. Il y a aussi un phénomène très répandu qui est la nourriture émotionnelle, c’est lorsqu’un patient, mal dans sa peau, va calmer ses émotions en mangeant tout ce qu’il trouve. Je suis fâché, je mange pour me calmer, idem si je suis stressé… et ainsi de suite. Il faut savoir que toutes les émotions mêmes positives peuvent induire une consommation de nourriture. Cela nous prouve bien que l’obésité avant d’être une maladie handicapante pour le corps, est une maladie qui trouve son origine et pèse sur la santé mentale des patients.

Ce phénomène d’addiction à la nourriture est-il médicalement et scientifiquement prouvé ?

Tout a fait ! Il faut d’ailleurs savoir que le phénomène d’addiction à l’alcool ou pire à la cocaïne, fonctionne de la même manière dans le cerveau que l’addiction au sucre ! C’est médicalement prouvé : c’est un circuit haut placé dans le cortex, tout près du «chapeau», qui s’allume lorsqu’on consomme de la nourriture. On appelle cela le circuit de la récompense. Pour le découvrir, on a pratiqué une IRM sur plusieurs patients atteints de troubles alimentaires. Lorsqu’ils boivent du chocolat ou mangent une sucrerie par exemple, ce circuit s’allume plus ou moins fort et provoque une forme de sensation d’apaisement plus ou moins forte. En d’autres termes : lorsque ce patient est anxieux, il ira beaucoup mieux après avoir mangé du chocolat. La nourriture devient alors un anxiolytique qui fait disparaître l’anxiété. C’est un cercle vicieux d’autant que plus d’un tiers des patients atteints de problèmes de poids sont concernés par ce circuit de la récompense.

Quel est le profil type du patient qui vient vous consulter? 

Ce serait typiquement une patiente de 50 ans. Elle a majoritairement pris du poids pendant sa grossesse et parce qu’elle a également décidé d’arrêter de fumer. Elle arrive chez nous avec un certain nombre de troubles du comportement alimentaire : elle grignote tous le temps, lorsqu’elle est énervée elle mange, après une dure journée elle va aussi se rabattre sur la nourriture. Chez elle, la nourriture devient une obsession, elle mange du chocolat, des biscuits, voire n’importe quoi, tout ce qu’elle trouve dans les placards ou le frigo! J’ai entendu une fois un patient me raconter qu’il était capable de manger de la confiture tartinée sur des concombres, car il n’avait plus que ça sous la main…

On va ensuite essayer de voir quelles sont les 10 plus grosses erreurs alimentaires que cette patiente commet : elle boit trop de jus de fruits, mange trop de chocolat, boit trop de sodas ou trop d’alcool… pour citer les plus fréquents. Puis cette dame va essayer d’entrer dans des ateliers et des cours de nutrition. On lui explique par exemple qu’une petite poignée de cacahuètes, si petite soit-elle, représente huit cuillères à soupe d’huile! Qu’un verre de soda représente 8 ou 9 morceaux de sucre! Là, on va l’aider à se rééduquer sur l’impact de la nourriture. Enfin, nous allons discuter sur son manque d’activité physique. Elle n’aura pas besoin de faire de sport à proprement parler mais il faut parvenir à réintroduire de l’exercice dans son quotidien.

C’est par exemple, se forcer à marcher en descendant un arrêt de bus avant sa destination finale, sortir le chien. Pour la petite anecdote, une patiente en surpoids que l’on traitait à un jour réalisé son rêve : acheter un chien. Cette dame a perdu 10 kilos en quelques mois simplement parce qu’elle sortait son animal 3 fois par jour et faisait plus de 10 000 pas au quotidien.

On entend très souvent parler des régimes: miracles, rapides, sans sel … Qu’en pensez-vous? Finalement maigrir sans régime est-ce possible ?

Je trouve que le mot régime est un mauvais terme. Je parlerais plutôt de rééquilibrage ou de réajustement. Tout simplement parce que perdre du poids, c’est créer un déficit calorique par rapport à ce que l’on mange.

A l’inverse, si vous brûlez moins que ce que vous mangez, vous grossirez. Il y a toujours un ajustement alimentaire à obtenir pour perdre du poids : c’est tout simplement manger moins et bouger plus! On peut pratiquer des régimes drastiques si l’on a besoin d’aller vite et perdre par exemple 20 kilos en très peu de temps. Mais après? Tiendra-t-on le coup sur la durée ? Alors effectivement, perdre 20 kilos c’est possible, mais il faut après une certaine période absolument réintroduire certains aliments, car on ne va pas poursuivre ce régime pendant des années. De l’équilibre sur la durée combiné à de l’exercice c’est la clé, car il ne faut jamais oublier que l’obésité est une maladie chronique qui dure toute la vie.

Cet article vous a plu ?
Abonnez-vous à la version papier Salle d’attente pour avoir accès à toutes les informations sur le sujet: témoignages, tests, adresses utiles, infographies et autres.
Alors n’attendez-plus !
CHF39.00

Loading

Partagez sur

Facebook

Plus d’articles :

Gérer les émotions du patient : Accompagner l’annonce d’un diagnostic de cancer du sang

Le diagnostic de cancer du sang plonge souvent les patients dans un tourbillon d’émotions – peur, incertitude et tristesse. Dans cet article, le professeur Wolf Langewitz, professeur émérite de médecine et chargé de cours en psychosomatique et communication à l’université de Bâle, met à disposition son expertise pour aider les patients à traverser les turbulences psychologiques qui suivent un tel diagnostic.

Loading

Lire la suite »

Cancer du sein : la chimio n’est plus automatique

Souvent reconnue comme étant le premier signe visible d’un cancer du sein, la chimiothérapie reste un traitement redouté auprès des patientes. Fort heureusement, dans le cas de certains cancers hormono-dépendants, elle n’est plus automatique lorsque son bénéfice par rapport à un risque de récidive n’est pas prouvé. Une analyse spécifique de la tumeur permet en effet de mieux déterminer l’agressivité et le risque de récidive du cancer.

Loading

Lire la suite »

Alopécie : voir la beauté au-delà des cheveux

L’alopécie est un mot qui n’est peut-être pas familier à certains, mais qui a pourtant de grandes répercussions sur les personnes qui en sont atteintes. Cette affection, caractérisée par la perte de cheveux, touche des millions d’hommes et de femmes dans le monde.

Loading

Lire la suite »

À bout de souffle… déceler la BPCO

En Suisse, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) est la quatrième cause de mortalité. Dans cet article, nous parlons de l’importance du diagnostic précoce et des possibilités de gagner en bien-être même à un âge avancé, et nous expliquons en quoi la sexualité elle est aussi concernée. Interview avec Dr. Claudia Steurer-Stey, experte en BPCO et spécialiste en médecine interne et maladies pulmonaires, cheffe du département « Chronic Care » à l’Université de Zurich, cabinet mediX Zurich.

Loading

Lire la suite »

La toux, une protection naturelle

Tousser est une chose familière pour la plupart d’entre nous, mais vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nous toussions ? Il ne s’agit pas seulement d’une gêne ou du symptôme d’une maladie, mais d’un réflexe vital de protection. Lorsque des irritants tels que la fumée, la poussière ou le mucus pénètrent dans nos voies respiratoires, notre corps réagit instinctivement en toussant pour les évacuer.

Loading

Lire la suite »