La sexualité, une addiction ?

Les comportements sexuels addictifs sont relativement fréquents et touchent une frange toujours plus large de la population. Non traitée, une addiction sexuelle peut mener à l’isolement et à la dépression, entre autres problèmes. On estime que 1 à 4% de la population générale est concernée. Entretien auprès du Dr. Lakshmi Waber, Psychiatre et psychothérapeute au Centre de Psychothérapie Varembé à Genève

Par Adeline Beijns

Quand parle-t-on de comportement sexuel addictif ?

Il y a une addiction sexuelle lorsque quatre principaux facteurs sont présents, à savoir le sentiment de perte de contrôle quant au comportement, l’absence de plaisir, la poursuite du comportement malgré des conséquences néfastes dans divers domaines (professionnel, financier, relationnel, médical…) et la nécessité d’assouvir immédiatement la pulsion pour diminuer une tension plutôt que par plaisir.

Il y a aussi une incapacité à désirer, c’est-à-dire à se réjouir d’un acte sexuel à venir. Pour toutes les personnes qui en souffrent, l’addiction devient centrale dans leur vie, au détriment de tout le reste,  et c’est précisément cela qui pose problème.

Auriez-vous quelques exemples ?

Oui il s’agit ainsi de la masturbation excessive, de la succession excessive de partenaires sexuels différents comprenant le recours aux services de prostituées (femmes ou hommes), le cyberporno et le chemsex qui connaît une grande progression ces dernières années.

Existe-il un profil type ?

Certaine études évoquent le groupe plus à risque suivant : homme jeune, religieux, utilisant fréquemment internet, ayant des problèmes d’humeur, ayant un tendance à l’ennui sexuel et recherchant de la nouveauté.

Qu’est-ce que le cyberporno ? 

Le cybersexe ou cyberporno fait référence à l’utilisation d’internet pour des motifs sexuels. Il s’agit par exemple de la vision de contenus pornographiques, l’utilisation de webcams et l’échange de photos principalement avec masturbation. Il est particulièrement addictif car il est anonyme, gratuit, disponible en tout temps, 24 heures sur 24 et il est diversifié à l’infini. On estime que 3 à 6% de la population en est dépendante.

Est-ce forcément négatif ?

Absolument pas et cela peut même être bénéfique si cela reste récréatif. Une addiction sexuelle devient problématique si la pratique concernée devient la seule manière d’avoir une sexualité, sans autres formes de sexualité possibles qu’une sexualité compulsive. Certaines personnes vont développer une tolérance élevée à l’excitation et sont entraînées dans une spirale car elles ne peuvent obtenir de sexualité satisfaisante et cherchent des pratiques toujours plus poussées. Il est important de mentionner qu’il existe plusieurs stades dans une addiction qui peut être légère, modérée ou sévère.

Concerne-t-il autant les hommes que les femmes ?

Il semblerait. Alors que dans le cas des addictions non sexuelles, les hommes sont généralement un  peu plus surreprésentés, nous constatons que les femmes sont autant concernées par le cyberporno que les hommes. 

Pourquoi selon vous ?

Plusieurs facteurs viennent donner un sentiment de sécurité aux femmes dont notamment l’anonymat offert par internet qui leur permet de maintenir une certaine distance avec les partenaires qu’elles rencontrent. Il y a malgré tout une différence de comportements entre les hommes et les femmes : on remarque que celles-ci préfèrent « chatter » et échanger des photos tandis que les hommes sont plus friands de contenus pornographiques.

Les jeunes ont accès à internet de plus en plus tôt. Est-ce que vous constatez une augmentation des comportements sexuellement compulsifs auprès des jeunes ?

Oui, tout à fait. Ceci influence d’ailleurs leur vision de la sexualité et  leur développement psychosexuel, de manière négative, en les désappropriant de leur sexualité à un âge où celle-ci est en pleine construction.

Quels sont les risques de ces comportements ?

Si nous prenons l’exemple du cyberporno, le risque est que cela devienne une sexualité prévalente        au reste et qu’il n’existe plus rien d’autre pour la personne touchée.

Il peut aussi entraîner l’homme ou la femme dans un état de comparaison permanent, cherchant à atteindre une certaine performance et à dépasser ses propres limites. En ne ressentant plus que de l’excitation sexuelle et non plus du désir et du plaisir, qui caractérisent une sexualité saine, l’homme ou la femme vont se désapproprier leur sexualité. 

Enfin, en cherchant à être toujours plus excité, avec une masturbation compulsive continue, cela peut mener à des lésions au niveau des parties génitales. Rappelons aussi qu’il y a perte de contrôle dans l’addiction et que cela peut mener à  des rapports sexuels non protégés, qui peuvent entraîner des grossesses non désirées ainsi que des infections et maladies.

Quelle prise en charge recommandez-vous ?

Tout dépend bien sûr du type d’addiction et du degré de sévérité mais de manière générale, le traitement dépend d’une combinaison de plusieurs prises en charge : addictologique pour travailler sur le caractère compulsif et identifier s’il existe une dépendance à une certaine substance illicite telle que la cocaïne par exemple, sexologique pour une réappropriation de sa sexualité, médicale s’il existe des lésions ou si la personne souffre d’infections sexuellement transmissibles, mais aussi parfois psychiatrique lorsqu’il existe une dépression ou une autre problématique psychique sous-jacente.

Dans certains cas, la participation à des groupes d’entraide peut aussi faire partie de la prise en charge.

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