Mon médicament, c’est Lui

Photo by Nadine Rupprecht on Unsplash

Au cœur de l’été 2018, Barbara pensait être victime d’un gros coup de fatigue. Au détour d’une prise de sang, les médecins lui diagnostiquent une leucémie aiguë. L’une des plus graves. La vie de cette jeune femme sportive et active est brutalement mise entre parenthèses. Son quotidien rythmé pendant des mois par les longs séjours à l’hôpital, la chimiothérapie, la greffe, les souffrances. Malgré la noirceur de cet été-là, Barbara conserve du soleil dans la voix. Comme une trace indélébile de courage pour nous raconter la douleur et faire briller l’espoir. 

Par Thierry Amann

Cet été-là, subitement j’ai commencé à être fatiguée, j’avais toujours mal à la tête, aux yeux. J’avais aussi des bleus partout sur le corps sans raison. J’ai toujours été très sportive et d’un coup j’ai eu beaucoup de mal à courir ; j’étais essoufflée même quand je marchais dans la rue. Au départ, je me suis dit que je travaillais trop, que j’avais un gros coup de fatigue et que j’avais besoin de vacances. C’est lorsque mon mari m’a dit que pendant la nuit je ne respirais plus normalement que j’ai décidé de consulter un médecin. Il m’a fait une prise de sang et les résultats ont tout de suite été très inquiétants. Le médecin m’a annoncé que je faisais de l’anémie et plus grave encore, que j’avais 47% des cellules dans mon sang qui n’allaient pas bien: le signe d’un grand risque d’avoir un cancer du sang. A l’hôpital, une deuxième prise de sang est venue confirmer le diagnostic, j’avais bien une leucémie. J’ai tout de suite été dans le déni ; pour moi c’était impossible, le médecin se trompait, j’avais juste une anémie. J’étais à tel point dans le déni qu’on devait partir en vacances 3-4 jours avec mon mari et j’ai demandé au médecin si on pouvait commencer les traitements à notre retour… Je ne me rendais pas compte.

Le cancer, une montagne impossible à gravir ?

On n’est jamais prêts. En une heure de temps on vous annonce le pire, on se dit que ce n’est pas possible. D’autant qu’un autre médecin est venu un peu plus tard pour m’annoncer que le diagnostic était plus grave encore, que j’avais une leucémie aiguë et que j’allais devoir faire une biopsie de la moelle osseuse. La leucémie aiguë, c’est la pire car les cellules cancéreuses se développent très vite en seulement quelques jours, voire quelques semaines. Le médecin m’a aussi dit que j’allais devoir faire des séances de chimiothérapie très lourdes, ce qui m’a fait perdre ma fertilité. Aujourd’hui, je suis ménopausée, mais heureusement j’ai réussi à conserver mes embryons juste avant le traitement. Voilà, tout m’est tombé dessus d’un coup à seulement 32 ans. Pourtant, je n’ai pas voulu m’enfermer dans un sentiment d’injustice. Je n’avais pas envie de m’épuiser à me demander pourquoi, pourquoi moi? Je savais que le combat serait très long et très difficile, alors j’ai préféré garder mes forces et mon énergie pour me battre contre la maladie. Bizarrement, dans cette situation quelque chose me rassurait, je me disais que c’était moi qui étais tombée malade et pas les gens que j’aime. Je savais aussi qu’il ne fallait pas que je me projette trop loin et que pour les choses à long terme, il fallait que je me repose sur les médecins qui avaient mis en place tout un plan de traitement sur six mois, un an. Il fallait à tout prix que je ne voie pas la maladie dans son ensemble, cela aurait été comme une immense montagne trop haute à gravir. Cela m’aurait plutôt incité à baisser les bras au lieu de me battre. Pour vaincre cette guerre, je crois qu’il faut savoir remporter de petites batailles au jour le jour.

La chimio, la douleur, le foulard et la féminité

« C’est une femme qui en donnant la vie et en choisissant de donner le cordon ombilical de son bébé, a sauvé la mienne » 

Pour la leucémie, même si la chimiothérapie se fait en fonction de votre ADN afin d’être plus efficace, le traitement est très lourd. J’ai été traitée pendant une semaine entière, 24 h sur 24 avec deux produits. Durant cette semaine de traitement, on ne ressent pas encore les effets secondaires, ils arrivent un peu plus tard. Ces effets sont très difficiles. J’ai eu beaucoup de mal à supporter, notamment la perte de mes cheveux; je ne voulais pas les toucher; je savais que si je les lavais, ils allaient tomber. Alors, c’est mon mari qui me brossait les cheveux et les mettait discrètement à la poubelle pour pas que je les voie tomber. Environ dix jours avant la chimiothérapie, je me suis habituée à porter un foulard sur la tête, j’en avais acheté beaucoup de toutes les couleurs, j’en portais un différent chaque jour, les infirmières me complimentaient d’ailleurs assez souvent en me disant qu’ils étaient magnifiques. Cela m’a aidée à m’habituer à les porter en prévision de ma chute de cheveux, ce qui m’a aidée psychologiquement. Ces foulards m’ont aussi permis de conserver ma féminité, alors que mes cheveux tombaient et que ma fertilité était en péril. Un détail qui a un peu adouci le traumatisme.

La greffe, l’espoir

On m’a annoncé que j’avais besoin d’une greffe de moelle osseuse la première semaine où j’étais à l’hôpital. Toutes les leucémies n’ont pas besoin d’une greffe, mais dans mon cas c’était la seule manière de soigner à 100 % la maladie et d’éviter la récidive. Là aussi, cela a été un choc, car je savais ce que cela voulait dire puisque j’étais moi-même inscrite sur les listes de donneurs de moelle osseuse. Ça fait bizarre lorsque les rôles s’inversent, on sait que le fait de trouver un donneur c’est très compliqué, c’est d’ailleurs pour cela que je me suis inscrite sur ces listes. Ils ont trouvé assez rapidement cinq donneurs qui pouvaient être compatibles, un petit miracle, même le médecin était étonné. Finalement, parmi ces personnes, il n’y en avait qu’une de réellement compatible, mais hélas pas encore assez pour que la greffe soit sûre à 100 %. Alors les médecins m’ont parlé d’une greffe grâce à des cordons ombilicaux. Ces cordons sont remplis de cellules sanguines, des cellules-souches. Ce ne sont pas des cellules adultes, elles n’ont donc pas besoin de 100 % de compatibilité, à 50 % cela peut marcher. On m’a donc greffé deux cordons le 5 décembre 2018 grâce à la générosité de donneurs. Une intervention sans douleur qui se déroule comme une grosse transfusion sanguine; il faut une semaine de chimiothérapie intensive et quelques séances de radiothérapie avant la greffe pour mettre le système immunitaire à zéro afin d’éviter qu’il attaque ces nouvelles cellules.

Donner, c’est sauver

C’est une femme qui en donnant la vie et en choisissant de donner le cordon ombilical de son bébé, a sauvé la mienne… Au-delà de la chimiothérapie et du professionnalisme des médecins, c’est bien le don qui a réussi à me sauver. Il faut faire passer le message, expliquer au plus grand nombre que ces dons, le fait de se mettre sur une liste de donneurs, peut concrètement sauver des vies! Le don de moelle osseuse, n’est absolument pas douloureux, il n’y a aucun risque, c’est juste une prise de sang de quelques heures et c’est fini. Quelques heures de votre temps pour que la vie de quelqu’un d’autre puisse encore durer. C’est un petit geste qui fait tout. Pour le don de cordon ombilical il faut savoir que soit le cordon est conservé soit il termine à la poubelle! Lorsque les femmes qui accouchent choisissent de faire ce don, le cordon est stocké puis conservé afin de servir pour sauver quelqu’un d’une leucémie ou d’une autre maladie du sang. C’est important de le savoir, j’invite les femmes enceintes à se renseigner sur les maternités qui pratiquent cette opération. Au final, il y a si peu de gens sur ces listes de donneurs, souvent car les gens ne sont pas bien informés.

L’épreuve pour guérir

L’après greffe fut une période très difficile, notamment les deux premières semaines où je n’ai pas pu me nourrir, j’étais alimentée par transfusion et j’étais très faible. D’une manière générale, les effets secondaires de la greffe de moelle osseuse sont particulièrement durs, beaucoup plus que ceux de la chimiothérapie. J’ai eu des vomissements, je ne pouvais pas aller aux toilettes quand je le voulais, j’ai eu des allergies aux antibiotiques, des maux de tête, des maux de ventre, des douleurs dans le tout le corps et j’étais trop faible pour marcher. C’est un peu comme si vous aviez une grippe sur six mois. Parfois j’étais même trop fatiguée pour dormir. Pendant ces cent premiers jours après la greffe vous êtes particulièrement surveillée, car il y a un risque accru de rejet. C’est cent jours de grand stress également, car à tout moment on peut nous annoncer que la greffe est rejetée par notre organisme. C’était une vraie épreuve dure et longue mais essentielle pour que je puisse espérer guérir.

Mon meilleur médicament, c’est lui

J’avais en fait très peur que la maladie revienne, je vivais dans cette crainte et je pleurais tous les jours. Quand vous allez à l’hôpital il y a un côté très sécurisant, vous vous dites que s’il y a un problème vous serez immédiatement pris en charge sur place, mais aussi être à l’hôpital signifie qu’on peut vous annoncer à tout moment une mauvaise nouvelle sur votre état. Cet aspect psychologique est très lourd à porter, j’ai fait beaucoup de crises de panique et j’ai dû être prise en charge par une psychologue. Cela m’a beaucoup aidée, car quand vous parlez avec un psy, vous comprenez que le plus dur c’est l’après-traitement, lorsque vous êtes en plein dedans vous êtes focalisée sur votre combat, vous êtes tout le temps entourée, vous vous bagarrez contre la maladie. Là une fois rentrée à la maison, cela fait du bien de reprendre un semblant de vie normale, mais cette peur que la maladie refasse surface est bien présente. Un petit mal de tête provoque un énorme coup de stress. Le psychologue m’a bien expliqué que j’avais vécu un vrai traumatisme, comparable à celui des soldats après la guerre. Quand vous êtes dans l’action ça va, mais lorsque vous rentrez chez vous, vous repensez à tout et c’est très dur et puis votre corps est mutilé, vous avez mal. Mais, ce n’est un secret pour personne, dans cette immense épreuve qu’est le cancer, l’entourage est essentiel. J’ai beaucoup de chance, j’ai un mari extraordinaire et si je suis vivante, c’est grâce à lui. Il était tout le temps là, il me soutenait, me disait que j’étais belle peu importe mon état. Mon meilleur médicament, c’est lui. Si je suis vivante, c’est grâce à lui.

Et aujourd’hui ?

Quand on affronte cette épreuve et qu’on parvient à s’en sortir, cela fait beaucoup plus aimer la vie. Aujourd’hui, le simple fait de sortir de chez moi, de marcher dans la rue, d’aller faire mes courses au supermarché… toutes ces petites choses banales de la vie me paraissent extraordinairement belles et me font du bien. Je vais beaucoup mieux, je vais tout de même une fois par semaine à l’hôpital, je prends encore pas mal de médicaments tous les jours, mais je vais beaucoup mieux. J’ai plus de force, mes cheveux ont repoussé, je retrouve peu à peu mon énergie, moralement je me sens bien plus sereine. Mais je suis toujours en rémission, il faudra que j’attende encore un an pour être totalement guérie. J’ai repris le sport, je réfléchis même à reprendre le travail dans un petit moment. Parfois je suis fatiguée, c’est sûr, mais je sens de plus en plus la vie, ma vie reprendre ses droits. Et s’il me faut affronter des difficultés, je les affronte comme depuis le début, au jour le jour.

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